Les freins à la diffusion de l’innovation publique parmi les élus locaux

Pourquoi parler des élus ?

Parce que chez les agents publics, ça avance pas mal. Le dossier « l’innovation publique à tous les étages » de la Gazette des communes s’étoffe de semaine en semaine, les revues comme Horizons Publics, les sites comme Profil Public, les communautés de pratique (dont celle du CNFPT, plus de 2800 membres), les labs se multiplient, les ETS 2018 auront pour thème : « Expérience usager : espérance démocratique ? », etc.

Par contre, côté élus, nous en sommes encore à compter les compagnons de route bienveillants, par ci, par là. Et il est certainement temps de changer ça.

Pourquoi parler aux élus ?

Pour peser au coeur des politiques publiques, y implanter durablement la culture de l’usager, il faut chercher à convaincre les élus tout simplement parce que c’est eux qui décident. Et la meilleure façon de les convaincre, c’est encore de leur parler directement. Manifestement, les efforts de diffusion en direction des agents publics ne les atteignent pas. Peut-être faut il aborder les choses différemment avec eux.

De quoi parler aux élus ?

J’ai l’intuition qu’il faut commencer par notre passion commune : le terrain. Parce que oui, le terrain, dans une collectivité, fondamentalement, c’est eux. Ils l’arpentent beaucoup en période électorale, moins ensuite – ils ont une collectivité à faire tourner – mais il demeure pour eux une boussole. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas des agents sur le terrain, mais ils y exercent une fonction précise alors que l’élu est interpellé indifféremment sur toutes ses compétences (et celles des autres aussi). Enfin, quand son cabinet lui laisse l’opportunité de rencontrer des (vrais) gens (petite auto-critique a posteriori).

Il faut donc commencer par dialoguer ensemble sur notre vision respective du terrain, et surtout leur parler de tous les outils dont nous disposons pour en profiter pleinement. Parce que, face au terrain, les élus disposent de deux seuls outils : leur instinct, et, pour ceux qui le peuvent, l’institut de sondage . L’innovation publique dispose de toute une gamme d’outils simples à mobiliser, et qui s’appuient sur 150 ans de recherche universitaire et de pratiques terrain. De quoi susciter leur intérêt.

Il faut en profiter pour tenter d’ancrer dans leur esprit que les gens ont des usages, des avis, des émotions, des imaginaires, et qu’il est indispensable de les prendre en considération pour améliorer le service public. Et justement, nous disposons de modes opératoires pour le faire. Grâce à eux, ils peuvent augmenter leur connaissance et retrouver du pouvoir d’agir. A nous de trouver comment leur dire.

De quoi vont parler les élus ?

De participation citoyenne. Pourquoi suis-je si péremptoire ? Parce qu’à chaque fois que je parle d’expertise d’usage avec l’un d’entre eux, il me parle réunions de concertation. Qui se passent mal.

La démocratie participative est à bout de souffle. Je ne reviens pas sur le diagnostic. Le collectif Démocratie Ouverte l’a extrêmement bien documenté : dans les dispositifs de participation, on voit « Toujours Les Mêmes », ceux qu’un élu m’a décrit comme les « minorités agissantes ». Les élus cherchent des solutions pour redonner du sens à ces exercices.

J’ai fait dernièrement un article sur le R.O.I. citoyen. Je m’y essaye à faire le tour des différents dispositifs de participation et à mesurer le retour sur investissement qu’il génère pour les citoyens (avoir les bonnes infos, apprendre des choses, être écouté et même considéré, etc.). Ce n’est pas forcément la panacée, mais j’ai par contre l’impression d’être dans le vrai quand je dis qu’il y a deux attitudes face au citoyen dans ces exercices de participation : quand on veut chercher à apprendre d’eux, ou quand on veut chercher à les convaincre. Nous sommes utiles dans le premier cas, dans le second, une bonne équipe de communicants fera aussi bien.

En tout cas, une chose est sûre : la sacro-sainte réunion de concertation, où on demande à des acteurs extérieurs de se transformer en « acceptologues » fonctionne de moins en moins bien, et ça ne va pas aller en s’arrangeant. Il faut changer de façon de faire. C’est un chantier auquel nous pouvons participer, avec beaucoup d’autres, mais nous ne disposons pas de solutions miracles (sinon de consulter les citoyens très en amont dans les projets, mais on est loin de la réunion de concertation !).

Comment finir de convaincre les élus ?

Après avoir parlé remontée de terrain et participation citoyenne, il reste bien des choses à dire, qui correspondent à des besoins quotidiens des dirigeants de collectivités :

  • la capacité du designer de représenter des choses, pour permettre de saisir des réalités complexes,
  • les outils de la créativité,  qu’on a appris avec le temps à utiliser dans le contexte d’une collectivité. Il faut bien comprendre qu’on se retourne vers eux pour trouver des solutions à un peu tout et n’importe quoi, alors acquérir un peu de créativité, savoir sortir du cadre pour y revenir, c’est un vrai plus pour les élus,
  • le prototypage et le test : apprendre à construire des outils simples et réversibles, qu’on consolide  une fois que la preuve du concept est faite, ou qu’on arrête tant qu’il est temps, voilà une révolution possible dans l’action publique locale…,
  • l’intelligence collective : dans un milieu où on se fait peu de cadeaux entre soi, savoir installer et maintenir sur la durée un collectif bienveillant relèverait presque de l’exploit. Pourtant, la cohésion d’une équipe élue est un facteur essentiel de réussite du projet.

Et j’en oublie certainement.

Et l’éthique dans tout ça ?

Fondamentalement, il y a donc bien quelques différences avec le discours en direction des agents publics, notamment dans l’approche (le terrain + la participation citoyenne), mais pas tant que ça. Non, je pense que  c’est la peur de rentrer dans le champ partisan qui nous bloque et nous fait remettre à plus tard l’information des élus.

Les élus qui durent sont avant tout des gros travailleurs. Ils connaissent les politiques publiques, les valeurs du service public, le fonctionnement d’une collectivité, les enjeux budgétaires. Autrement, il est impossible de donner une direction stratégique à une équipe de direction.  Mais ils ont aussi un enjeu, tous les 5 ou 6 ans : celui de se faire réélire.

Lorsqu’on va à la rencontre des élus, il faut avoir en tête ce double objectif permanent (déployer sa stratégie de territoire et se faire réélire), et le fait que l’un influe sur l’autre, et l’autre sur l’un. Par voie de conséquence, améliorer le service public local, c’est améliorer la vie des usagers, mais c’est aussi aider peu ou prou à renforcer les chances de la réélection du chef de l’exécutif.

Face à cela, il s’agit de rester fidèle à ses valeurs professionnelles et à celles du service public. Mais j’ai la conviction, moi qui vient du système partisan et l’ai quitté voici bien longtemps, que c’est parfaitement possible. A l’invitation du collectif des designers éthiques,  en octobre dernier, j’avais expliqué pourquoi : parce que l’éthique est consubstantielle au design et parce que les agents publics carburent à l’éthique (si vous voulez en savoir plus il y a un compte-rendu ici).

Sujet en construction, il faudra y revenir.

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