Le triangle de la participation citoyenne

Dans le dialogue citoyen, on pense à la relation élus-citoyens. En mettant souvent de côté les agents publics, réduits au rôle de Gentils Organisateurs. C’est pourtant de leur implication, sur la base de leur expertise, que dépend la qualité du résultat.
Enfin c’est à cette conclusion que je suis arrivé !


Au commencement était le dialogue citoyen à Rezé (44)

En 2015, lorsque je dirigeais design’in Pays de la Loire, structure de promotion du design en Région, j’avais mobilisé une équipe pluri-disciplinaire pour tenter d’imaginer un format d’intervention en design dans une collectivité locale. La ville de Rezé souhaitait refondre son dispositif de dialogue citoyen et nous nous étions associés.

L’équipe formée pour l’occasion s’était plongée en immersion dans les mécanismes de la commune (40.000 habitants) et avait très vite relevé l’importance des agents dans les dispositifs de dialogue citoyen, et le caractère complexe de leur positionnement. Ainsi, il avait été demandé aux agents de se positionner sur un « triangle de la participation » (voir ci-dessous).

Crédits : Jacky Foucher, Elvire Bornand, Julie Labbé, Bastien Kerspern (la belle équipe)

Le triangle de la participation vu des services est donc à géométrie variable. Il permet de représenter le fait que les agents chargé du dialogue citoyen se sentent les « avocats » des citoyens dans les services (les points jaunes à droite du triangle), alors que les agents « de politique publique » se représentent ici comme supports de leur domaine d’intervention ou de leur élu (les points à gauche et en bas).

Ce graphique a 6 ou 7 ans, mais il met en lumière le rôle de l’acteur clé du dialogue citoyen qu’est l’agent public, et mérite qu’on le creuse un peu (le graphique, pas l’acteur).

Le triangle de la participation est une intersection

En dézoomant un peu de ce triangle, on se rend compte qu’il est en fait l’intersection entre les 3 cercles des 3 acteurs. Le coeur d’un diagramme de Venn (ci-dessous sont représentées uniquement les intersections entre les 3 cercles).

J’ai changé habitants en citoyens, mais j’explique après pourquoi

Les élus et les citoyens se rencontrent dans le cadre des élections, les citoyens et les agents se rencontrent dans l’usage des services publics, et les élus s’appuient sur les agents pour gérer la collectivité.
Le dialogue citoyen se place à l’intersection des 3 (et sauf erreur de ma part, c’est le seul que l’on peut placer à cet endroit). A noter que par dialogue citoyen, j’entends toute démarche qui associe les citoyens, de la simple réunion publique de concertation à la co-construction pleine et entière, en passant par tous les gradients que je décrivais dans l’article « De la participation citoyenne et du R.O.I. citoyen« .

Le triangle prend tout son sens quand on caractérise ses acteurs

Quelles sont les grandes caractéristiques de ces acteurs qui sont mises en jeu dans cette relation ?

Les citoyens sont en même temps :

  • des usagers (ou pas) des services publics,
  • des contribuables (enfin de moins en moins pour ce qui concerne les collectivités, mais c’est un autre problème),
  • des habitants, avec leurs convictions, leurs joies, leurs peines, leurs imaginaires.

Et le dialogue citoyen s’adresse aux gens sur ces trois aspects (en de plus ou moins forte proportion).

Les élus sont :

  • mandatés, au sens où ils ont été élus sur un programme, qui leur tient plus ou moins de feuille de route,
  • légitimes, par l’onction du suffrage universel, à s’emparer de tout sujet, y compris en dehors du mandat qui leur a été confié,
  • décisionnaires, dans le sens où ce qui fera norme, en bout de course ou de dialogue citoyen, c’est leur vote.

Les agents, quant à eux :

  • sont des techniciens, au sens où c’est eux qui préparent et gèrent les conditions matérielles & juridiques des exercices de dialogue citoyen,
  • sont des experts, ou au moins des praticiens, de leur politique publique ou de leur savoir-faire en général,
  • sont des fonctionnaires, et incarnent les valeurs du services public – égalité, mutabilité, continuité – et plus largement les valeurs de la République. Leur fidélité à l’acteur public ne vaut pas soutien politique, même si parfois la ligne est ténue.
    Ils ont donc un rôle triple : opérateur, sachant et « garant ».

Cette caractérisation a ceci d’intéressant qu’elle démontre le pouvoir d’agir des agents : ils détiennent les clés de la qualité d’un exercice de dialogue citoyen, sa réussite dépend de leur engagement et de leur coopération.
Là où l’élu comme le citoyen ont pour seul pouvoir d’agir de voter (le premier la délibération, le second aux élections), les agents impriment leur marque sur des processus au long cours de dialogue citoyen.
Autrement dit : quand l’agent peut ajouter à son rôle de technicien sa capacité d’expertise et exprimer son éthique de fonctionnaire, non seulement il améliore la qualité du débat citoyen mais il rend l’exercice plus agréable pour tous.

Voyons cela en détail.

Les paramètres du dialogue citoyen, et leur influence sur le triangle de la participation

Je vais développer 5 paramètres qui détermine sa capacité d’action :

  • la nature du sujet du dialogue citoyen : objectifs, stratégie ou modalités
  • l’intensité de la consultation : simple avis consultatif ou co-conception ?
  • La nature du public recherché : usagers (non-usagers), citoyens, habitants
  • Un évènement ou un dispositif multiple
  • Le temps (la durée) du dialogue

Il y en a (au moins) un 6° : le déclencheur du dialogue. Il existe des acteurs publics qui mettent au débat des questions posées par les citoyens. Il n’en sera pas question ici, car le débat est d’une toute autre nature, notamment autour de la maturité de l’acteur public face aux aléas du dialogue citoyen.

Revenons aux paramètres.

Le choix de la nature du sujet. Si on réaménage un équipement avec ses usagers, ou si on présente un choix pour le faire valider, on est dans les modalités. Si on imagine l’utilisation d’un espace, si on co-construit une politique publique, on est plus dans la stratégie. Si on demande un avis citoyen ou si on lance un débat prospectif (que voulons nous pour dans 15 ans ?), on est dans la construction d’objectifs. On part du concret et opérationnel pour aller dans l’abstrait et le conceptuel en passant par un mélange des deux.
On le voit tout de suite : plus on monte dans l’échelle d’abstraction, plus l’expertise et l’adaptabilité des agents est mise en valeur. Par adaptabilité j’entends la capacité à sortir d’une feuille de route précise et faire face à des incvertitudes du débat démocratique.

Pendant la convention citoyenne Occitanie, les agents du Conseil régional s’étaient livrés à un speed-dating avec les citoyens pour répondre directement à leurs questions sur différents sujets

L’intensité de la consultation. Quand on interroge les citoyens, ils plébiscitent la co-construction de l’action publique dans l’absolu, mais ne veulent pas forcément y participer à titre personnel. C’est de fait une contradiction, mais il est possible de la résoudre en étant le plus transparent possible sur un exercice de co-construction, en le documentant de multiples façons et en rendant public les étapes de la démarche.
Ainsi, en plus de l’expertise d’usage ou de l’avis qu’ils peuvent émettre, on donne un rôle supplémentaire aux participants de l’exercice citoyen : gardiens de la sincérité, garants de la transparence, témoin de moralité en quelque sorte…
Ceci-dit, il n’est pas toujours possible de co-construire, et parfois une simple information claire et authentique suffit. Je me suis essayé à un logigramme sur « Comment mener « sa » participation citoyenne« , qui essaye de dessiner l’ensemble des cas de figure et prôner une modalité face à chaque situation, si vous ne l’avez déjà lu, suivez le lien !
Une fois de plus, plus l’exercice de dialogue citoyen monte en intensité, plus les agents publics ont un rôle sensible : créer les moyens de l’information fiable et transparente, faciliter l’engagement des citoyens dans leur délibération, trouver les solutions techniques pour donner aux élus le « choix » de suivre les avis des citoyens (ou pas).

La nature du public recherché. Armel Le Coz, de Démocratie ouverte, a développé voici plusieurs années le concept des TLM, les « Toujours Les Mêmes » (ici une définition très claire) qui se déplacent dans les dispositifs de participation citoyenne et trustent tout alors qu’ils ne sont pas représentatifs (« sur-engagés, sur-diplomés et sur-retraités » dit Armel). On peut dépasser cela en ouvrant le plus largement possible la consultation (en la rendant attrayante, en travaillant le « retour sur investissement citoyen », etc.), ce qui veut souvent dire multiplier les espaces de dialogue et aller à la rencontre des citoyens. Ou en assumant le fait de rechercher des publics précis, dont on veut entendre l’avis en priorité (les personnes n’ayant pas recours à leurs droits, les usagers potentiels d’un nouveau service, que sais-je).
Dans les deux cas, il faut faire appel à l’expertise des agents publics et aux partenaires de l’acteur public : Où et comment s’adresser à des publics qui ne vont pas aux réunions publiques, c’est encore eux qui en auront l’idée la plus juste (surtout si on associe les agents de terrain).

Un dispositif unique ou multiple. Parfois, plusieurs petites opportunités de dialogue valent mieux qu’un grand raout. Pour les raisons évoquées ci-dessus (voir des publics ciblés) mais aussi parce que le dialogue est de meilleure qualité en petits groupes, et parce qu’en se rendant sur le terrain on ajoute une dimension d’observation/immersion qui objective la discussion. Et puis la loi de Nielsen l’exprime bien : avec 5 entretiens en profondeur, tu obtiens 80 % des problèmes d’usage, donc des petits groupes sont au moins aussi utiles.
Oui, mais il faut d’une part faire le deuil de la belle et grande réunion publique, et d’autre part il faut être agile et frugal pour ne pas remplacer l’organisation d’une grande réunion publique par celle de plusieurs moyennes… Le premier point concerne directement les élus, le second est un enjeu pour les services. Mais une fois de plus, ce sont les agents publics qui rendent possibles ou pas de modifier les pratiques : ils doivent être force de proposition sur les dispositifs et les modalités, et être ingénieux pour éviter les dépenses inconsidérées sans sacrifier la qualité du débat démocratique.

Le temps/la durée du dialogue. Les temps citoyens ne sont pas les temps de la décision publique. Or, une concertation, qu’elle qu’en ai été la qualité, qui ne donne pas de nouvelles pendant des mois, c’est la déception assurée et l’envie de recommencer qui s’étiole chez ses participants.
Il faut donc non seulement donner le calendrier complet à chaque fois au participant et les tenir au courant de l’avancée des travaux à la suite du dialogue citoyen, mais je préconise en plus de concevoir la démarche globale au tour de l’exercice de participation en se calant le plus possible sur l’agenda des habitants.
Rapprocher le plus possible, tant techniquement que juridiquement, la concertation de la décision et de la mise en oeuvre, c’est montrer de la considération.
Là encore, ce sont les agents qui peuvent donner le tempo.

Extrait de vie publique.fr. La convention a rendu ses conclusions en juin 2020. Les temps de l’action publique sont plus longs que les temps du débat démocratique.
En conclusion ?

La qualité du dialogue citoyen dépend de l’engagement, de l’agilité, de la coopération des agents. Sur l’ensemble des aspects développés ici, c’est leur implication qui peut rendre le dialogue citoyen utile et intéressant.

Cela implique que les agents doivent être persuadés de l’intérêt du dialogue citoyen pour enrichir la prise de décision publique. Il reste du travail de ce côté.

Cela implique également que les élus se positionnent dans une logique de coopération tripartite avec les citoyens comme avec leurs équipes.
Ils doivent savoir exactement ce qu’ils attendent de chaque exercice, ce qu’ils peuvent obtenir et au prix de quels engagements de leur part.
Mais en plus, ils doivent créer une relation de confiance avec leurs agents : dialoguer, consulter, entendre les éventuelles limites, bref engager une véritable coopération. Même s’il leur revient d’impulser.

La désirabilité du dialogue citoyen, c’est l’affaire de tous, et chacun doit s’y retrouver.
Les élus ne peuvent être dépossédés de leur mandat. Les citoyens doivent pouvoir mesurer leur intérêt à s’engager et les services ne peuvent pas maintenir une dynamique sur le long terme si le dialogue citoyen les épuise pour des résultats insuffisamment significatifs.
Mais ils ont de nombreuses cartes en main pour en faire un outil d’amélioration du service public, le triangle de la participation en atteste.


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