Un bon conseil, il voit un problème, il cherche une solution, tandis qu’un mauvais conseil…

Mais qu’est ce qui me prend de me mêler d’une question d’actualité, les cabinets conseils et l’Etat ? Il n’y a certainement que des coups à prendre, mais je vais le faire quand même. Je lis tout et (plutôt) n’importe quoi, alors j’ai envie de donner mon éclairage. Le voici

Le #parapheurgate

Pour commencer, mon premier contact avec un des « big four » . Je découvre un matin sur mon agenda (de directeur de cabinet à la Région, je parle des années 2000) : réunion « parapheurs ». Les trucs dans lesquels les courriers qui doivent être signés circulent. Et je vois que mon adjointe participe à cette réunion au nom si anodin. Je me demande bien pourquoi.
A l’heure dite, je vois arriver 2 jeunes gens propres sur eux, qui me présentent leur étude sur le circuit des parapheurs dans les services de la Région ainsi que leur conclusion : le problème vient de nous, du cabinet du Président, on bloque tout, sinistres buses que nous sommes. Je comprends alors la présence de mon adjointe, elle avait peur que je fasse un bêtise, elle est là pour me retenir au cas où.
Je me lève, vais à mon bureau prendre 4 ou 5 parapheurs qui y trainent ce matin-là, les apporte à la table de réunion et leur montre : « En voici un TTTTTTU, un autre TTTTTTTTU, un autre encore TTTTTTTTTU… Ah celui-ci n’est que TTU » (T c’est pour Très, U pour Urgent).


Je continue : « En quoi sont-ils Très, Très Très, voire Très Très Très Très Très Urgents ? Je ne le sais pas. Est ce que c’est une date opposable juridiquement ? Est ce que le directeur part en vacances ce soir (et il en a le droit) ? Est ce que ça arrangerait l’assistante parce que elle a un autre gros boulot après ? Est ce que la signature machine(*) suffirait ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que le Président est actuellement à 200 km d’ici pour la journée, et que si c’est vraiment urgent, je dois mobiliser un chauffeur pour qu’il fasse la route à vide, fasse signer le Président et nous le ramène pour ce soir signé. Et ça, ça coûte des sous à la collectivité et je ne parle pas du bilan carbone. Je dois donc décider sans informations suffisantes, et ça tous les jours du monde ? Je m’y refuse. Alors pour moi, un parapheur urgent, c’est quand le DGS débarque avec un parapheur dans la main pour me le dire. Là, si il faut, je prends moi-même la voiture » .
Les deux jeunes gens, interloqués, découvrent à ce moment que leur boulot était incomplet. Pour eux c’était forcément nous les méchants politiques les responsables de tout (je ne sais pas si quelqu’un leur avait soufflé ça dans les services, enfin je n’ose pas l’imaginer 🙂 )… Comment on dit ? Ni fait, ni à faire, leur résultat.
Bon tout ça a fini avec une couverture de parapheur de couleur différente en cas d’urgence et une case « motif de l’urgence ». En espérant qu’elle soit remplie (à l’usage, une fois sur deux, il y a donc eu progrès).

Ceci est une caricature. J’en ai d’autres en magasin. Des pires (un SRADDT à refaire entièrement), des navrantes (8 semaines pour accoucher d’un résultat moins bon qu’une immersion en mode ethno-design d’une semaine).

Mais j’ai aussi eu des rencontres avec des cabinets conseils incroyablement riches. Je pense notamment à Missions Publiques, cité un peu au hasard dans l’article du monde qui a déclenché « l’affaire » : Qui sont les consultants et pourquoi l’Etat fait appel à eux, en 7 questions. Quand on a travaillé ensemble sur des panels citoyens, en 2008 et en 2013, j’ai vu des gens dévoués à leur travail, empathiques et sérieux, des pros qui montre qu’un autre conseil est possible (ça tombe bien, je fais ça maintenant).

L’armoire à solution

Dans mon Tedx en 2016 (à 13’35), je parlais des cabinets de conseil et du principal reproche qu’on peut leur faire, l’utilisation de leur « armoire à solutions ». Souvent, les solutions proposées sont parfaitement inadaptées pour deux raisons :

  • ce sont des solutions qui ont déjà été refilées ailleurs et qu’on a bon an mal an un peu retapé mais sans plus (le copier-coller, l’arme fatale du consultant),
  • Surtout, ça ne donne pas de pouvoir d’agir parce que ça n’a pas été construit suffisamment avec les équipes. Dans l’innovation publique on cherche l’implication des agents pour avoir leur expertise d’usage, mais aussi pour qu’ils s’approprient la solution qu’on va proposer. Chez eux, le manque est criant.

En plus, il faut bien le dire, c’est souvent des solutions très orthodoxes et qui ne sortent pas vraiment du cadre technocratique. Et même si depuis quelques années, ils se sont tous achetés des design thinkers pour « think out of the box », les cultures sont trop antagonistes pour que ce soit vraiment efficient (même quand c’est fait par des designers, mais parfois ce sont juste des jeunes sortis de business school qui ont fait un module de design thinking en 4° année et qui jouent avec des choses qu’ils maîtrisent pas très bien).

Je me souviens du jour où un de mes partenaires m’avait signalé le monde merveilleux de PwC qui vendait une méthode de design en 33 étapes et 47 jours consultants (alors qu’en fait, comme je le dis souvent, il n’y a pas de méthode), j’en étais resté pantois…

Sur le #McKinseyGate

Après il y a deux choses non pas qui viennent en défense des cabinets conseils dont on parle dans l’actualité, mais à prendre en considération dans le débat actuel :

  • le collectif Nos Services Publics l’a bien expliqué, on ne peut pas facilement embaucher à l’Etat, avec le plafond d’emploi mis en place par la LOLF et la fongibilité asymétrique des budgets de l’Etat en défaveur du Titre 2 (les RH), alors on externalise avec ce genre de contrats.
  • avec la judiciarisation de la société, les hauts fonctionnaires ont les chocottes et préfèrent pouvoir s’appuyer sur un « cabinet indépendant » pour justifier leur choix. C’est notamment vrai avec la pandémie.
    Ainsi tout le barnum du pass sanitaire consiste en ne pas rendre obligatoire le vaccin pour ne pas avoir à indemniser avec l’ONIAM, ou pour des sommes plus rondelettes, par les tribunaux, les éventuels accidents médicaux.

Ils sont donc là pour pallier des entraves que l’Etat se met tout seul.

De tous temps on a fait appel à des conseils tiers pour gérer des choses impossibles en interne, qui mettraient trop de temps (connaissez vous la fable administrative « le DPMA et le chat » ?) ou qu’on ne voulait pas gérer pour de multiples (bonnes et/ou mauvaises) raisons. Il y en a donc deux nouvelles qui produisent pleinement leurs effets ces derniers temps.

Il existe une différence sensible entre nous, la famille de l’innovation publique, et eux, les consultants des grands cabinets, c’est que nous repartons des gens d’une part (pas des donneurs d’ordres, des gens) et que nous cherchons à transformer avec les agents publics et pas à leur place. On est bien conscient qu’à un moment, on sera plus là. Dans bon nombre de cas, notre culture de la co-construction est donc bien plus efficiente. D’autre fois, l’intelligence qu’ils sont susceptibles de mobiliser est bien plus efficace, force est de le constater.

Aussi je ne participe pas à l’hallali du moment contre les cabinets-conseils. Ils remplissent le rôle qu’on veut bien leur allouer.

(*) Oui, il existe des machines à signer. C’est lent, bruyant, ça imite mal le tracé d’une signature, on est pas sûr que ça ait la même valeur juridique, mais ça existe.