Tout bien considéré…

Si l’on veut que les citoyens participent durablement à l’action locale, il faut qu’ils « s’y retrouvent », que leur investissement en temps et en engagement « vaille le coup ». Parmi les éléments qui fondent cet intérêt, il en est un central : la considération. De ce qu’ils sont, du temps qu’ils donnent, de leurs points de vues.
Retour sur une conférence donnée voici quelques mois à la chaire innovation publique de l’École de Design Nantes Atlantique.

J’ai déjà théorisé ici le concept de R.O.I. Citoyen : dans toute démarche où il ou elle est mise à contribution par un acteur public, la citoyenne ou le citoyen pèse d’un côté les efforts qui lui sont nécessaires de fournir, de l’autre les retours attendus, qui peuvent être de nombreux ordres (de l’information, un moment agréable, un résultat tangible, …), avant de s’engager ou de poursuivre son effort.

Depuis toujours, m’apparaissait l’intérêt des méthodes du design pour contribuer à rendre ce R.O.I. positif : en représentant grâce au dessin la complexité pour la rendre accessible (s’il y a participation citoyenne, il y a complexité, autrement il n’aurait pas été nécessaire de faire appel à la population !), en outillant le traitement de l’information, en s’impliquant dans la réalisation d’une expérience utilisateur de qualité, etc. Le design abaisse ainsi l’effort nécessaire, et augmente l’intérêt de participer.

Mais il y a autre chose encore. En fait, c’est Bernard Reber, philosophe, directeur de recherche au CNRS et passionné de participation citoyenne qui m’a ouvert à ses travaux sur la considération dans la participation. Il était présent tout au long de la Convention Citoyenne Occitanie à laquelle j’ai participé, et je l’avais interpellé après qu’il se soit adressé aux 100 citoyennes et citoyens. Il leur avait expliqué leur légitimité, définie par le mandat que Carole Delga, la président de Région, leur avait dévolu (et c’était pas évident, comme le raconte mon papier écrit à l’époque) ; il leur avait également donné un mode d’emploi de la délibération citoyenne qui m’avait particulièrement marqué, et qu’on peut résumer dans cette phrase incroyablement simple :

« écoutez l’autre comme vous souhaiteriez être écouté, c’est le principe du souci égal de considération »

Bernard Reber à la convention citoyenne occitanie
Alerte « insight » sur la « considération »

Insight ? C’est un mot du design thinking (et souvent vilipendé par les designers pour cela), dont il n’existe pas de traduction précise si ce n’est un bancal : « A gut-felt response that makes you sit up and think » proposé par l’agence anglaise NESTA, et qu’on peut traduire par : Une réaction instinctive qui vous fait réagir et réfléchir.
Bref, quand tu sens qu’il y a un truc qui se passe.
Ici c’est le cas : cette grille de lecture semble particulièrement pertinente au premier abord. On est face à un bel insight.
Mais au second abord, c’est encore mieux !

La considération, c’est forcément bien. Et ceci, dans tous les sens du terme, et ils sont nombreux ! Ce qui est étonnant, c’est qu’on peut à chaque fois raccrocher ces différents sens à des pratiques du design. Jugez en plutôt (c’est la définition du Larousse) :

Regarder quelqu’un, quelque chose avec attention, longuement ; observer 
Regarder, envisager quelque chose sous un certain angle 
Peser quelque chose, l’apprécier, le prendre en compte 
Être d’avis après réflexion que ; estimer, croire 
Juger quelque chose, quelqu’un, lui attribuer telle ou telle qualité
Respecter quelqu’un, l’avoir en estime 

Considérer : verbe trans. [kɔ ̃sideʀe]

On retrouve dans cette définition des mots clés importants :

  • observer : une pratique au coeur de la démarche design,
  • envisager sous un angle : dans la découverte d’un sujet, on cherche à l’examiner sous tous les angles (pour une raison simple : pour un designer, tout problème est pas définition mal défini) pour être sûr de ne pas oublier quelque chose,
  • prendre en compte : dans une démarche design, on accueille des éléments nouveaux sans opérer de tri a priori ni préjuger de leur valeur, et on regarde comment c’est compatible avec ce qu’on sait déjà,
  • être d’avis : quand le projet avance, on émet des hypothèses, en formulant des avis qu’on cherche à vérifier avec le prototypage,
  • juger : à un moment, dans son projet, on opère des choix (une fois tout bien…considéré !),
  • respecter, estimer : dans la démarche design on fait preuve d’empathie, qui impose un respect a priori. On pourrait même définir le design comme une formalisation du respect, d’ailleurs : quoi de plus respectueux que de chercher à rendre les choses simples et affordantes ?
La considération, le lien entre le design et la participation citoyenne

Donc par ses techniques, ses modes opératoires mais aussi tout simplement par sa culture, le design est utile au débat citoyen. Et, grâce à lui on rend possible un débat autre que le consensus mou, plus petit dénominateur commun de la participation citoyenne.
Il peut en effet rendre concret le fait qu’on a considéré ton point de vue, quand bien même il n’a pas été retenu. C’est alors bien plus acceptable de se ranger à la décision commune. En cela il facilite donc l’apprentissage citoyen.

Voilà comment Bernard Reber a mis les mots (enfin le mot) sur ce qui reliait la démocratie participative et le design des politiques publiques.
Et par là même, à titre personnel, ce que j’ai fait quand je travaillais en collectivité, et ce qui m’occupe maintenant 🙂