Le deuxième week-end de la convention citoyenne : subsidiariquoi ? Non-discriminaqui ? Intérêt à agir de où ?

La séance avait commencé comme on s’y attendait.

  • Un retour des membres de la convention sur le peu d’écho de leur travail auprès de leur proches, collègues et élus locaux – mais on savait qu’Edgard Morin, dans son message, allait les rassurer une fois encore sur leur légitimité et l’intérêt de la démarche, quand bien même était-elle encore confidentielle,
  • deux masterclass, l’un par le Directeur général des services de la Région, sur son fonctionnement et son pouvoir d’agir, l’autre par la journaliste Gwenaelle Guervalais sur la Région, son histoire, sa géographie, sa réalité économique et sociale,
  • puis en début d’après-midi une séance de dialogue avec des agents du Conseil régional sur les points de rencontre entre les premières propositions de la Convention et les politiques publiques existantes (puisque points de rencontre il y a).
le citoyen devant l’usager

La suite allait se révéler moins fluide. La consigne passée était de se positionner en tant qu’usager du service public régional. Pour eux, à titre personnel, quelles propositions étaient les plus bénéfiques parmi celles qu’ils avaient pu émettre. Pour moi, cet exercice est évident : lorsqu’on parle au citoyen, on parle à l’usager et au contribuable. Les mettre un peu en tension est donc une bonne idée, d’autant plus quand on a un panel représentatif du territoire : la somme de ces travaux est certainement un référentiel passionnant.

dessin de @lafourmiorange

Oui mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé : une bonne partie des membres de la convention n’a pas souhaité réfléchir en tant qu’usager, considérant que leur rôle dépassait largement la défense de leur intérêt particulier pour se concentrer sur la création de biens communs.
C’est ainsi qu’on construit un collectif, sans le vouloir (?) : face à un consigne incomprise, le moment de prise de parole du soir a permis de construire un discours commun en direct . SI vous voulez le voir, c’est ici :

La découverte de la subsidiarité

Il faut dire qu’un peu plus tôt, dans une répartition en trois catégories des propositions de la première semaine, il avait été question des propositions :

  • où la Région peut agir,
  • de celles où elle doit s’associer à des partenaires publics, associatifs ou privés,
  • et de celles ou là Région-ne-peut-rien-en-l’état.

Je sais pas vous, mais moi j’ai fait des études de Droit public. La répartition des compétences entre les collectivités locales, c’est quelque chose que je maîtrise sur le bout des doigts. Pour moi la phrase « la Région ne peut rien en l’état » est donc tout ce qu’il y a de plus anodine. Je comprends ainsi que le sujet est normalement traité soit à un étage infra, soit au dessus, et que, même en jouant avec les concepts , on ne peut pas le rattacher à l’aménagement du territoire, le tourisme ou la culture (les compétences partagées) qui ferait qu’on pourrait faire un bout de règlement…

Ce n’est pas exactement comme ça que ça a été reçu, plus comme une fin de non recevoir (et tu as beau dire = « mais on a dit en l’état », cette fin de phrase retient bien moins l’attention). Il est possible que ça ait joué sur l’humeur de la convention avant l’exercice des bénéfices personnels…

Nous avons vécu d’ailleurs à nouveau la même chose le deuxième après-midi dans ce que nous avons appelé « la recyclerie ». Pendant que les autres groupes travaillaient sur les propositions thématiques par thématiques, en cherchant à les bonifier et les rendre opérantes, nous avons traité les propositions qui demandaient un travail (problème de compétences, de légalité, etc.) avant de pouvoir faire l’objet d’un traitement dans les groupes thématiques.

La « recyclerie »

Une bonne quinzaine de fiches ont ainsi pu être traitées par les autres.
Mais pour ce qui concerne le reste, il a été difficile de trouver une issue en commun. Pour une bonne et simple raison : les limites quotidiennes de l’action publique, la répartition des compétences, l’intérêt à agir, les procédures et les marchés publics rendent l’exercice trop complexes.
Ainsi, lorsqu’il nous a été donné d’expliquer qu’il ne peut y avoir de clauses locales dans les achats de la Région, du fait des principes constitutionnels de « non-discrimination et de liberté de circulation des personnes, capitaux et services », c’est l’incompréhension qu’on a lu sur les visages.
Le principe même d’intérêt à agir, devenu crucial avec la fin de la clause générale de compétence pour les Régions, a du mal à passer.
Pour tout dire, je me suis senti plusieurs fois dans la peau d’un garagiste qui emploie des mots compliqués et inconnus pour tenter d’expliquer qu’il va y en avoir pour cher de réparation sur la voiture.
C’est très insatisfaisant.

A cet endroit je mettrais bien un dessin de Robin en train de dire « oui mais la Loi NOTRe a bien prévu que… » tandis que Batman lui en retourne une, mais je crois que ce dessin ne fait plus l’unanimité…

Nous avons fini par séparer les propositions en deux catégories : celles où on transmettait la proposition aux autorités compétentes, et celles où il existait un désaccord dans le groupe.
J’ai été très admiratif devant la maestria de l’équipe d’animation pour arriver à ce résultat…

Que faire de tout ça ?

Non pas des propositions, mais de cette expérience de participation citoyenne, et de ce qu’elle nous renvoie de la complexité de nos travaux.

Dans mon précédent article, je parle du « fait régional », c’est à dire du décalage entre la force de frappe de la Région et l’étroitesse de ses moyens de diffusion propres. Beaucoup d’armes, peu de troupes, alors on va chercher des partenaires parmi les différents acteurs du territoire.
J’imagine que c’est comme ça qu’on en arrive à dire que la Région est la collectivité des acteurs.
Depuis ce week-end, j’ai tendance à penser que la Région est surtout la collectivité des actifs, ceux qui produisent des biens, des services, mais aussi du lien ( à travers le soutien à l’économie sociale et solidaire ou la culture et le sport), de la connaissance avec son soutien à l’éducation et la formation ou encore de l’avenir (mobilités, aménagement du territoire, etc.). C’est une espèce de matrice où chacun peut y trouver son compte.

Mais autant l’approche usager est parfaitement adaptée à un Département, dont les politiques publiques correspondant à des services repérés et attribués aux Conseils départementaux, autant ce n’est pas certain que ce soit possible à la Région.
A titre subsidiaire, sur un équipement, une gare,un service, oui, mais pas dans l’approche générale de la relation à la population.
Là où souvent l’action départemenale relève de l’intime (la naissance, l’enfance en danger, le handicap, la dépendance), l’action régionale s’inscrit sur le champ citoyen : comment on se nourrit, comment on se déplace, comment on produit… C’est donc bien sur le champ citoyen que la relation doit s’instaurer.
Et qui dit citoyen dit relation horizontale : on est auprès des citoyens (là où on surplombe ses administrés). Auquel cas il n’est pas possible d’aborder la relation citoyenne en maintenant sur la durée le « la Région ne peut rien en l’état ». Il faut imaginer autre chose, plus fraternel (comme dans le Fraternité de la devise Républicaine) et surtout plus opérant.

Une fois qu’on a dit ça, il reste à le construire, mais c’est en tout cas un enseignement de ce deuxième week-end.

Hâte d’être à Carcassonne.

Bonus Track : un résumé de l’intervention d’Edgard Morin devant la convention.

Une réflexion sur « Le deuxième week-end de la convention citoyenne : subsidiariquoi ? Non-discriminaqui ? Intérêt à agir de où ? »

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