Convention citoyenne Occitanie – 3° session : la sagesse de la foule

L’avis de la convention citoyenne a été transmis le 3 octobre dernier à Carole Delga, présidente de la Région Occitanie par les membres de la convention. Il comprend les attentes des citoyens, leurs préconisations principales pour la Région et des messages pour d’autres institutions que la Région. Et c’est vachement bien fichu (il est téléchargeable ici). Retour sur un processus, et un résultat.

Carole Delga à gauche réagit à l’avis citoyen, qui a été présenté par plusieurs groupes successifs de membres de la convention
La forme

Au soir du deuxième jour de la deuxième session, alors même que la convention avait élaboré quelques 300 propositions tous azimuts (si vous voulez un compte-rendu, il est là), il était impossible de présager d’un résultat aussi construit.

Nul doute que le travail des animateurs a aidé à aboutir à ce résultat, en donnant les moyens à la convention de réaliser le travail de mise en récit de ses propositions. Mais si cette condition (un accompagnement solide) était nécessaire, elle était loin d’être suffisante pour obtenir un tel résultat.

La prise de conscience collective de la nécessité de rendre intelligible le travail de délibération, à travers un texte

  1. ordonné,
  2. mettant en avant l’esprit qui animait la convention
  3. le traduisant par des propositions,

s’est faite tout simplement par le débat entre les membres de la convention.

Il a fallu trancher entre exhaustivité et intelligibilité. Et on est arrivé à un consensus final.
Un truc à donner confiance en la démocratie. Ou à croire aux miracles (allez, on va choisir la première solution).

Il me semble que le déclic s’est fait grâce à un autre travail qui était demandé à la convention : rédiger le projet de « bulletin de vote » de la votation citoyenne. Les précédentes votations sur le site de laregioncitoyenne.fr avaient permis de constater que, passé 5 minutes, les internautes abandonnaient (massivement) en cours leur acte de vote. Donc si on voulait une bonne participation, il fallait faire bref. Condition qu’ils ont réussi à respecter clairement en priorisant

  • une question sur la transition écologique,
  • une sur le rééquilibrage rural-urbain,
  • une dernière sur la citoyenneté,
  • plus le choix d’un prochain grand débat régional parmi une liste de thèmes qui ont traversé les délibérations de la convention.

Pour découvrir, le résultat, c’est ici.
Ce travail drastique de sélection a aidé, me semble-t-il, a opérer des choix de priorisation également dans la présentation de l’avis. On est passé de « choisir, c’est renoncer » qui prévalait jusqu’ici, à « choisir, c’est mettre en valeur » qui permet d’aboutir au résultat obtenu.
En cela, la convention est une expérience démocratique réussie et porteuse d’espoir : si on l’organise, le débat peut exister et être fécond. Un autre monde que celui du clash façon Twitter est donc possible !

Le fond

Sur le fond, l’avis est passionnant.
Une lecture rapide ne permet pas d’en saisir véritablement l’intérêt. Le résumé d’un survol serait : il demande plus d’équité, plus de démocratie, qu’on arrête de produire et manger des cochonneries et le rééquilibrage rural/urbain (et quelques autres choses quand même). Bref, rien de bien nouveau sous le (si grand) soleil (*).
Une lecture plus attentive révèle par contre quelques idées-forces qui méritent qu’on s’y attarde.

Ainsi, le paragraphe sur la crise sanitaire indique une lecture très élaborée de ce que nous venons de vivre :

« La pandémie de la Covid-19 nous invite plus que jamais à faire évoluer, transformer notre société. Miroir grossissant des inégalités, elle a mis en lumière le travail des invisibles, le manque de reconnaissance des « petit.e.s » et les fragilités de la mondialisation. Cette crise sanitaire nous a aussi fait prendre conscience que notre système qui réchauffe la planète et fait s’effondrer la biodiversité aggrave ces inégalités. Par son ampleur et son caractère inédit, elle a remis au cœur des préoccupations des besoins essentiels et vitaux : la santé, l’éducation, la nécessité de revoir nos façons d’habiter et de consommer, et a renforcé l’idée de notre nécessaire implication dans la construction des décisions et de l’action publique. »

La force de ce paragraphe, c’est que ce n’est pas le fruit d’un travail universitaire ou un discours de responsable politique, c’est le résultat d’une délibération entre 100 citoyens entre 19 et 76 ans, venant de tous les coins de l’Occitanie, de toutes conditions. Soit la délibération d’une opinion publique éclairée. Voilà ce que pense un groupe représentatif de la Région qui s’est formé, et a débattu pendant 7 jours. Cette parole est donc d’or, pour qui sait l’écouter. Surtout que cette analyse s’accompagne en plus de préconisations concrètes.

La séance a été filmée, si le cœur vous en dit.
sécurisation et quête de sens

Au passage, on relève l’association de « mondialisation » avec « fragilités ». Globalement, on a constaté tout au long de cette convention non pas un rejet, mais une totale incrédulité devant la mondialisation. A tel point que Carole Delga, au moment de la remise de l’avis citoyen, a ressenti le besoin de nuancer un peu : oui la mondialisation a produit des effets délétères, mais elle peut se révéler un formidable moteur, par exemple, actuellement, en matière de recherche médicale sur le Covid-19 où les coopérations permettent d’avancer à grand pas. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain (ça, c’est moi qui l’ajoute).

C’est à mon avis à rapprocher du « ruralisme » de l’avis, ou en tout cas du peu de place qui y est faite aux deux métropoles. Sièges de l’économie compétitive, inscrites dans des dynamiques qui dépassent largement l’Occitanie, elles apparaissent comme trop complexes, et même les habitants de Toulouse et de Montpellier – puisqu’il y en avait parmi les 100 – ne savaient trop en défendre le rôle moteur (qu’elles n’auraient pas, par ailleurs, selon une enquête de Médiacités). Sans doute est-ce bien complexe, mais les métropoles gagneraient sans doute à élaborer un discours simple qui explique globalement leur rôle, au moins à leurs habitants (et ceci doit être généralisable bien au delà de l’Occitanie).
Un enseignement fort : ce qui n’est pas énoncé clairement (les effets bénéfiques de la mondialisation, l’enjeu métropolitain, …) ne se conçoit pas bien.

Un peu plus loin, quand il s’agit de parler des attentes des citoyens, notamment en matière économique, on parle de « garantir la dignité » de chacun. On retrouve ici l’irruption de principes moraux que j’avais trouvé dans le papier de Samuel Hayat sur l’économie morale et les gilets jaunes, déjà partagé dans un article de janvier 2019. Soyons clairs : nous n’étions pas sur un rond-point, ce n’était pas une assemblée générale de gilets jaunes mais le besoin de redonner du sens à une société qui en manque, y compris dans les échanges de biens et de services, transparait clairement dans cet avis. On ne peut pas durablement décorréler l’effort et la rétribution de celui-ci, nous disent-ils dans leurs propositions.

L’enjeu climatique est parfaitement intégré, chacun s’organisant autant que faire se peut pour réduire son empreinte. Les propositions démontrent avant tout une envie de solutions concrètes, et de mise à disposition d’outils pour se prémunir des conséquences néfastes. Il me semble qu’il existe une attente claire pour permettre à chacun d’acquérir de la résilience face au danger climatique, et au delà de la résilience, une capacité pour la Région à tirer son épingle du jeu en se préparant au mieux (c’est le concept de l’anti-fragilité, développé par Nicholas Taleb en 2013). En tout cas les citoyens sont lucides, peut-être plus que d’autres, sur la question.

Pourquoi les remparts de Carcassonne ? Parce que ça se passait à Carcassonne. Et que d’habitude je rate mes photos et pas là.

On peut être saisi par l’absence ou quasi absence de l’enjeu touristique (2 propositions sur 234) dans cet avis, alors que c’est une filière stratégique pour ce territoire (30 millions de touristes/an, 14 milliards de recettes). Est ce la conséquence du resserrement autour des besoins essentiels et vitaux dont il est fait mention dans le paragraphe sur la crise sanitaire cité plus haut ? A l’inverse, il y a une quinzaine de propositions en matière de culture et de sport. Sans doute la hiérarchie des valeurs a-t’elle été modifiée par le confinement… Il y a donc un travail de « re-hiérarchisation » à réaliser (qui ressemble fort au questionnaire de Bruno Latour, mais à grande échelle).

Enfin la partie sur la démocratie et la citoyenneté apporte de l’eau à mon moulin : il y est fait mention de l’ardente nécessité, dans un projet, « que toutes les alternatives soient présentées de façon objective » (eh mais carrément !) et que les démarches administratives soient simplifiées en associant les citoyens. C’est pas comme si on le disait pas !

Sans préjuger de la votation

Il reste cette étape, mais les préconisations sur le « bulletin de vote » des membres de la convention devrait assurer un certain écho à la votation citoyenne.

D’ores et déjà, on relève une maturité, une sagesse de la foule de la convention qui a fait émerger une analyse commune sur l’état de la société particulièrement intéressante, et qui, en creux, démontre l’envie de comprendre ce qui se passe et de ne pas croire sur parole. Qu’il s’agisse d’action publique ou d’économie.

A l’image de la Présidente de Région présentant les bienfaits de la mondialisation de la recherche aux membres de la convention, il faudra bien trouver des mots pour défendre le bien-fondé des échanges internationaux et le besoin de rentrer dans le jeu de l’économie mondialisée. Des modifications en profondeur sont sans doute nécessaires (relocalisations, bilans carbones, etc.) mais il n’est pas question de s’extraire complètement des échanges internationaux et de l’économie compétitive. Sauf à renoncer à bien des ressources, et par la même à des redistributions, alors même que la crise économique post-confinement n’a pas encore produit tous ses effets.

Enfin la soif de démocratie exprimée nécessite d’imaginer d’autres moyens encore d’association, de consultation, d’information, d’animation. Mais au delà de tout ça, les citoyens attendent la Région dans un rôle de liant, de catalyseur, et qu’elle valorise les initiatives de terrain (à l’image de ce que « La Région est à vous » avait initié). Une piste semble donc de se tourner vers les populations non seulement pour les associer, mais aussi d’assurer une certaine réciprocité en s’intéressant à eux et en les épaulant.

Voilà, dans cette aventure j’ai retrouvé à la manœuvre mon vieux complice Yves Mathieu de missions publiques, artisan inlassable de la construction d’une participation citoyenne renforcée. Il m’avait dit que ça se passerait bien. Force est de constater qu’il avait raison.

Moralité : il faut croire dans la sagesse des foules citoyennes.

(*) : « Un si grand soleil » est une série TV qui se passe en Occitanie et certaines scènes se déroulent dans l’hôtel de Région. J’ai pas résisté. Pardon.

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