Un seul Internet vous manque et tout est compliqué.

Je n’ai plus Internet depuis une semaine. En plein centre de la 6° ville de France, Nantes. Est-ce que si c’était l’eau, le gaz ou l’électricité, je serais resté une semaine dépourvu ? Je ne le pense pas. Est-ce normal, 7 jours sans Internet ? Je ne le pense pas.
Parce que, soit on parle d’un service public ou quelque chose qui s’en approche, puisque l’Etat et plus largement les pouvoirs publics s’appuient sur lui pour transformer leur administration, et une forme de continuité du service public s’impose, soit ce n’en est pas un en l’état et on arrête la dématérialisation tant qu’on a pas réglé ça.

Screen issu d’un reportage de Line Press à Nantes samedi dernier

Le concentrateur Orange de mon quartier a brûlé. Oh, pas tout seul, les abrutis qui cassent le centre-ville de Nantes à chaque manifestation ont fini par le trouver. Depuis des mois, en se mêlant aux gilets jaunes, ils saccagent tout ce qui leur passent sous le nez (cliquez sur l’image au dessus, le concentrateur c’est à la 15° minute, mais il y a aussi un audioprothésiste, le MacDo, un bar, un marchand de vélos, la Mutuelle générale qui y passent, vous verrez c’est charmant). Là, ils ont eu une belle proie : 557 lignes ont brûlé. Des commerçants (cette semaine, chez Monoprix, on payait par espèce ou par chèque), des particuliers, des entreprises.

Heureusement, très vite, nous avons été pris en charge…
Non, en fait pas du tout. Orange Pays de la Loire a fait un pauvre Tweet lundi, au bout de 48 heures, pour nous dire que tout rentrerait dans l’ordre mercredi soir.

Et puis rien. On est samedi, 5 jours après ce tweet, 3 jours après la date qui nous avait été donné, et rien. Toujours pas d’Internet.

Énormément de questions posées par ce tweet :

  • pourquoi dire mercredi si c’est pas mercredi mais la semaine d’après (parce que ça sera bien la semaine d’après, hein, c’est sûr) ?
  • et en attendant on fait quoi ?
  • il n’existe pas une solution, genre un hotspot d’Orange à ouvrir pour leurs abonnés du quartier (on parle d’une superficie pas bien grande) ?
  • tout le monde a Twitter ou pas , je veux dire est-ce le bon canal pour communiquer, vous êtes sûr ? Rien d’autre, vous ne comptez que sur la presse locale (qui pense qu’il n’y a que des commerçants dans le quartier, genre, au dessus des boutiques, c’est uniquement des entrepôts) ?

Non parce que pour annoncer l’ouverture de fibres sur ce compte, y a du monde, mais pour informer des clients, il y en a moins. Ce manque d’informations est déplorable.

D’ailleurs, sommes nous clients au sens strict ? L’ARCEP , autorité de régulation des télécoms a pour slogan « les réseaux comme bien commun ». C’est bien un sujet de réflexion. Est-on client pour ces biens de 1° nécessité ou est ce que ça va un peu plus loin ?

Et au delà du formel, est ce qu’une technologie à laquelle il est fait appel à tout bout de champ par les pouvoirs publics, qui constitue le coeur même du projet de transformation de l’administration d’Etat, et en même temps le graal des réducteurs de budgets publics, peut être aussi fragile ?

Parce qu’elle est fragile. Cette armoire, avec un peu de bonne volonté, tout le monde peut en venir à bout. Les casseurs qui l’on fait une fois vont certainement essayer de recommencer ailleurs, et même de faire plus fort, trouver les concentrateurs de concentrateurs par exemple, et planter le plus de gens possibles.
Ça risque dans les mois qui viennent d’être un peu le black block challenge, la compétition entre les différentes groupuscules anti-capitalistes (et grâce à la ZAD de Notre Dame des Landes, Nantes est précurseur en la matière, c’est pas moi qui le dit, c’est Gasparg Glanz à Reporterre). Faut bien se faire des souvenirs, hein, avant de rentrer dans le rang bien tranquillement et 15 ans plus tard se plaindre du montant des impôts.

Et puis Orange ne fait pas la maintenance nécessaire. Dans mon quartier, c’en est devenu une sujet de blague :

Le transfo en question n’est toujours pas réparé. Depuis un bon 6 mois, il tient avec du scotch, qui casse, qu’on remet, qui recasse. Et ce n’est pas le seul dans cet état, loin s’en faut.

Résumons : pas de continuité du service, un niveau d’entretien pas raisonnable, des contestataires qui ont trouvé un nouveau jeu. Et c’est sur cette base qu’on veut construire le service public numérique de demain…

Le défenseur des droits Jacques Toubon, en août, relevait le potentiel recul que représentait la dématérialisation des services publics pour les citoyens. En ce qui me concerne, je relève surtout en temps normal le potentiel recul d’une dématérialisation mal conçue et pas accompagnée. « L’internet des familles modestes », livre-enquête de Dominique Pasquier montrait bien que le problème ce n’était pas tant Internet que les barrières culturelles érigées par les administrations et leur absence de traitement des incompréhensions qui posaient question . J’en ai fait une mindmap si ça vous intéresse.

Mais j’ajoute un autre recul potentiel : comment faire ses démarches administratives quand Internet est coupé ? Pour une semaine ou plus ? Est ce qu’il faut prévoir un service minimum ? Quelles sont les alternatives ? Si c’était la dernière semaine pour déclarer son impôt sur le revenu, on ferait comment ? J’espère qu’Internet sera rétabli d’ici la date limite de paiement de la taxe d’habitation (15 octobre), j’ai lu sur des forums qu’Orange avait mis jusqu’à un mois pour rétablir des lignes.

J’entends d’ici les blagues du type : ça arrive tous les jours à la campagne, ça fait les pieds des citadins, etc. C’est vrai.
Mais j’habite en ville justement pour ça. Pour avoir des transports collectifs en bas de chez moi (et ne pas avoir de voiture), un Centre Hospitalier Universitaire à deux pas, le choix entre plusieurs boulangeries (où me rendre à pied), des services en tout genre à proximité et Internet à la maison. J’accepte les désagréments, la promiscuité et les coûts de la ville pour cela.

L’autre objection, c’est la 4G-ça-va-te-plains-pas-t’en-as-toi. Et oui, elle est de bonne qualité, en plein centre-ville. Mais je bosse pas mal sur le web, sur des sites, je fais des petits montages vidéos, et beaucoup beaucoup de visioconférences. Bref j’ai craqué 30 Go cette semaine et si la nouvelle date butoir qu’on a cru comprendre qu’Orange donnait (lundi soir) n’est pas la bonne, je vais arriver à tout consommer. Et après, je paye encore plus parce que mon fournisseur ne m’offre pas de solutions sur quelque chose d’aussi vital ?

Je pense qu’Orange sous traite les infra-structures depuis si longtemps qu’il en a oublié leur importance. Pour eux, leur boulot, c’est de vendre des abonnements. Cela n’a pas toujours été le cas. Ma mère bossait dans un central des PTT quand j’étais enfant, « les gars des lignes », c’était pas rien dans ce qu’elle nous racontait de son travail. Manifestement, ça s’est perdu depuis (sauf pour faire des tweets et donner des mauvaises dates, voir ci-dessus). Tirer et maintenir des lignes, c’est pourtant bien le coeur du métier de l’opérateur historique. Qui a bénéficié des investissements publics et dont l’enjeu est d’en assurer la maintenance.

[Mon épouse me fait remarquer qu’incidemment on a plus non plus la télévision, ni de téléphone fixe, ce que j’avais oublié (faute d’utilisation personnelle). Imaginez les gens bloqués chez eux sans télé ni Internet depuis une semaine.]

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