Shape Up : une méthode pour innover ?

Je le dis à qui veut bien l’entendre depuis toujours : il n’y a pas de méthodes d’innovation, ou en tout cas les méthodes existantes répondent à des situations spécifiques qui les rendent le plus souvent inexploitables dans l’action publique. Je ne reprends pas, et puis Philippe Méda a tout dit il y a 8 ans dans son article : l’échec des méthodes d’innovation .
Oui mais là, avec « Shape Up », on tient quelque chose. Est-ce enfin le Graal, la méthode universelle à proposer à nos clients (qui le demande tous, et à qui nous expliquons à chaque fois qu’elle n’existe pas)?

Alors voilà. Au commencement était un tweet de mon ami Jacky Foucher écrit en anglais, répondant à Ryan Singer, le designer de Basecamp, un logiciel de gestion de projet.

Google traduction étant mon ami, j’apprends au passage le verbe to shape (façonner), et remonte le fil pour finir par trouver un livre, « shape up » que je télécharge et lis (en anglais, donc). Il s’agit de la méthode utilisée par Basecamp pour développer leur offre.

La désirabilité(*) du projet

Et dans ce livre, Ryan Singer donne des pistes comme jamais je n’ai pu en voir auparavant. Si on doit résumer l’esprit de Shape up, ce pourrait être : il faut rendre désirable le projet pour les équipes. La désirabilité du projet pas seulement dans son résultat mais dans la façon dont il est conduit, comment n’y avons nous pas pensé… Et ça passe avant tout par deux choses :

  • il faut lui donner un horizon humain, (A Basecamp, il se sont arrêtés sur 6 semaines ), et il faut donc découper le projet en plusieurs chantiers ;
  • il faut faire en sorte que l’équipe qui va concevoir le résultat (réaliser le chantier) ait suffisamment de consignes pour pouvoir travailler et en même temps suffisamment de liberté (de jeu, dirait Jacky) pour prendre du plaisir à réaliser ce travail.

Le livre est donc une méthode, ou plus précisément un retour d’expérience (en même temps qu’un encouragement à utiliser le logiciel Basecamp, faut bien payer les salaires !) et semble très utilisable à l’échelle d’une organisation publique pour mener la transformation d’une politique publique. Pour une raison simple : il est le fruit de l’observation de nombreuses tentatives et variations, il est construit sur l’essai-erreur, et n’est pas présenté comme la solution miracle, mais comme le fruit d’une expérience éprouvée. Humblement et avec détermination. Wow.

Il y a un lien pour le télécharger un peu plus haut et un peu plus bas dans l’article. Mais bon si vous cliquez sur l’image, vous pourrez aussi y accéder


Avec Jacky Foucher on échange sur le sujet cet été, on en reparle à la rentrée, je décide de traduire le livre (Work in Progress), et puis nous avons l’opportunité de tester la méthode sur un groupe bienveillant.

Un test grandeur nature

En effet, dans le cadre du Mooc Innovation Publique, pendant les saisons 2 et 3 (Saison 4 is coming), nous avons testé des modules de formation avec le public de nos participants. La dernière, en janvier dernier, a porté sur la transposition de Shape Up. Comme pour les 5 autres journées, nous avons mis les templates en ligne, vous pouvez les retrouver ici.

Autant le dire, c’était une séance d’essuyage de plâtre, malgré tous les efforts de Catherine Blairon, mon alter ego du Mooc, ingénieure pédagogique qu’on a rompu à l’innovation publique (merci encore aux participants, reconnaissance éternelle, crédit illimité si vous avez des questions). On a bien vu que les concepts et les méthodes demandaient à être affinées pour les adapter à l’action publique.

C’est ce que j’ai fait de mon côté, et ce que Jacky a fait du sien aussi. Pour le coup, j’ai eu l’occasion d’en reparler avec un groupe de cadres expérimentés de la Région Auvergne Rhône-Alpes, qui travaillaient sur la fonction d’accompagnant de l’innovation public dans le cadre du lab @rchipel, le lab de l’État en Région (mais il y avait aussi des territoriaux).

Ce que je retiens de la discussion avec ce groupe,c’est que ce n’est pas une méthode innovante, c’est une méthode qui donne sa place à l’innovation, mais qu’elle leur parlait quand même très fort. Ce que je retiens également, c’est qu’on est loin du double diamant du design council (quand on a un sujet , on ouvre le champ des possibles, puis on ferme sur une problématique, puis on ouvre à nouveau, puis on ferme sur une solution, abracadabra), et qu’on a plutôt compté 7 ou 8 étapes. Minimum. Sans compter les itérations.

On voit sur ce schéma qu’on peut dissocier une équipe resserrée de pilotage d’une équipe projet, et que finalement on embarque ces derniers quand on a « dégrossi » ou façonné (to shape up, tiens justement) le projet. On n’épuise pas tout le monde dès le début !
Deux points forts

Cette méthode est vraiment intéressante par deux aspects, qui sont en même temps les deux difficultés principales.

L’étape cruciale de la division du projet en chantier à taille humaine, le façonnage du projet est ainsi particulièrement complexe : il faut diviser le travail en chantiers puis dégrossir suffisamment chaque chantier de façon à ce que l’équipe puisse le réaliser sans tomber sur des chausses-trappes tout en laissant la place à leur créativité.

L’outil de monitoring de l’avancement du chantier, qu’ils appellent le diagramme de la colline, est également particulièrement puissant. Il est en même temps simple et efficace. On arrive rarement à un tel résultat : tant que vous montez la colline, vous êtes en train d’apprendre comment réaliser le chantier, quand vous redescendez la colline, vous êtes en phase de production, vous savez ce que vous avez à faire.

Mais les deux demandent une confiance et un lâcher prise assez important :

  • dans le premier cas, vous devez faire confiance dans la créativité des équipes, et donc accepter de ne pas tout régenter. Vous devez vous projeter dans le rôle de facilitateur et de superviseur que vous tiendrez pendant les chantiers,
  • dans le second, vous acceptez que le seul reporting soit des points indiqués sur des courbes en cloche, et de n’intervenir que quand un point ne bouge pas pendant une période trop longue

Bref, « Shape up » a de commun avec les autres méthodes d’innovation d’obliger à se poser des questions avant de se lancer, ce qui ne fait jamais de mal, mais il permet en plus de cadrer son projet au sein d’un mode opératoire qui va assez bien avec les organisations publiques.

Par contre, il ne change rien sur le fond : pour innover, on a plus besoin d’une culture que d’une méthode. Le lâcher prise, la confiance dans les équipes, l’essai-erreur, tout ce que demande la « méthode shape up » pour fonctionner est du domaine culturel. Une fois de plus.

Mais ce cadrage me semble une avancée majeure, pour peu qu’on l’adapte à son contexte de travail.

D’autres fans ?

Voilà, je ne vais pas décrire toute la méthode, il faut lire le livre et se l’approprier. Ou si vous voulez en savoir plus avant de vous lancer dans un bouquin de 100 pages en anglais, lire l’abstract que j’ai réalisé pour ma présentation à Clermont-Ferrand. Mais je trouve que ça vaut l’investissement en temps !

D’ailleurs, je suis à la recherche d’autres « fans » de Shape Up, pour confronter notre compréhension de ce livre. Si vous en êtes, n’hésitez pas à me contacter, ici en commentaires, en message ou sur mon mail (on trouve tout ça tout en bas de la page d’accueil du site) ou sur Twitter en MP à @oliv_ryckewaert. On a des trucs à se dire !

(*) et si au passage quelqu’un a un remplaçant au mot désirabilité, je suis preneur. Moi je cherche en vain…

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