Regards croisés sur l’innovation publique

En Juillet à l’université d’été de l’innovation publique portée par le CNFPT (Centre National de la Fonction Publique territoriale), il y a eu un moment très fort. Non pas que le reste ait été mal (j’en ai déjà parlé et j’y reviendrais), mais la séance d’ouverture entre Akim Oural et Jacques-François Marchandise était un petit bijou.
En ce moment, je saoule tous les participants de l’Université d’été pour qu’ils partagent leurs notes, alors je me suis dit qu’il fallait que j’y mette du mien aussi. Bref, j’ai repris mes notes, et voici un condensé de leur échange.

Bon d’abord, les protagonistes. Akim est un élu Lillois, qui a fait un excellent rapport sur l’innovation territoriale voici quelques années. Jacques-François est le délégué général de la FING, Fondation Internet Nouvelle Génération qui porte une réflexion sur ce que change le numérique dans la société depuis une bonne quinzaine d’années.

L’élu et le chercheur se sont engagés dans un dialogue où se posaient les bonnes questions, même quand elles fâchaient. Par exemple, la première question de JFM à Akim Oural était : « Est ce que l’organisation publique ne recherche pas une chose incompatible avec ce qu’elle est dans sa quête d’innovation ? » En entendant ça on se dit que notre hôte, le CNFPT, a décidé de mettre les pieds dans le plat. Comme on dit dans l’armée : Permission de parler !
S’en suit une discussion passionnante mais un peu fouillis. J’ai remis dans l’ordre les grandes idées, en attendant la captation vidéo de la séance qui devrait arriver d’ici peu.

L’innovation n’est pas encouragée par les acteurs publics

Tout d’abord, sur ce volet Institution et innovation, il est vrai que les acteurs publics ont une grande difficulté avec l’expérimentation. Il s’avère même qu’elle est presque impossible à mettre en oeuvre, mais j’y reviendrais une autre fois. `

Seulement, comment inventer des nouvelles solutions sans expérimenter ? C’est la première grande barrière à l’innovation : la peur du risque. Elle a une conséquence :  la mise en danger de celui qui expérimente (qui prend le risque, donc). Tant qu’on n’accompagnera pas les innovateurs en terme de légitimation, de reconnaissance (et même de carrière), ce sera difficile. Ceux qui se sont lancés – et qui obtiennent des résultats tangibles en plus – le font non pas forcément au détriment, mais au moins en jouant avec leur carrière. On risque moins à faire des notes de synthèses tranquille dans son bureau.

Pourtant, les organisations publiques n’ont pas le choix. Elles doivent innover. Trouver des nouvelles solutions, plus adaptées, plus personnalisées aussi (oui je sais je me contredis un peu avec mon papier d’avant).

Le danger de répondre à des problèmes d’hier avec des outils nouveaux

Constat partagé par les deux protagonistes (pourtant considérés comme des geeks l’un comme l’autre) : l’innovation ne peut pas être uniquement technologique. Certes, il s’agit de positionner l’action publique dans un monde fait de datas, d’intelligences artificielles et d’algorithmes. Mais il s’agit d’outils. Si on pense uniquement en terme d’innovation technologique, on risque de répondre à des problèmes d’hier avec des outils nouveaux.

En outre, l’utilisation des technologies de pointe implique seulement une petite partie de la population, elles ne sont pas inclusives. Enfin, ces nouveaux outils sont souvent des plateformes, qui pensent à leur public en tant que profils, et donc de clients. Or c’est bien de citoyens dont on parle. Ces formats ne sont pas adaptés.

L’innovation se fait avec des technologies mûres

En fait, l’innovation se fait avec des technologies mûres, celles qui ont été digérées par le grand nombre et ont déclenché des innovations sociales. Comme internet, qui a maintenant 25 ans, qui a donné aux gens l’habitude de donner leur avis. D’ailleurs, une des innovations sociales qui participe du fait que les acteurs publics n’ont plus le choix d’innover ou non, c’est la demande de co-construction de la société qui se nourrit de l’élévation du niveau du savoir et de l’habitude de prendre part qu’a facilité Internet.

Le bénéfice de la co-construction est pour tout le monde : pour ceux qui participent, qui comprennent mieux les enjeux, et peuvent mieux se réapproprier leur territoire, mais aussi pour les organisations publiques, qui voient ainsi d’autres populations que leurs habitués de la démocratie participative (les fameux TLM, Toujours Les Mêmes , chers à Armel Le Coz). Et puis la co-construction permet de faire travailler ensemble des publics différents, et l’hybridation rend meilleurs les projets…

Puisqu’on parle de démocratie, c’est aussi un enjeu central de l’innovation publique. Peut être même le premier. En menant des projets ensemble on construit ensemble les univers qui leurs sont propres, et on progresse ensemble. Les participants aux projets forment des communautés apprenantes, qui gagnent ainsi en capacitation (en bon français : empowerment), et créent une maîtrise collective des dossiers qui participent d’une vigilance démocratique. Bref, ce sont des cercles vertueux.

Un besoin de documentation des initiatives innovantes

Dernier angle de vue, la pédagogie. Pour prendre de la puissance, l’innovation publique a besoin de se raconter, de créer des espaces de formalisation et de documentation (qui raconte les succès, mais aussi les échecs, et c’est là que c’est plus dur…) sous des formats permettant la meilleure appropriation, et habituant les gens à toucher du doigt des choses sensibles (compris ici comme l’antonyme de rationnel, on parle du sensible qui vient de la sensibilité).

On en revient ainsi à la question de départ : l’innovation est-elle compatible avec l’administration, qui n’est pas, disons, très sensible dans sa façon d’aborder les dossiers (ce qui ne remet pas en cause la sensibilité de ses acteurs !) ?

Frédéric Duriez a fait un sketchnote en direct live de l’intervention :

 

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