NDDL : faire rebondir la démocratie

C’est le genre d’article où tu ne te fais que des amis. Essayer, à chaud, de tirer des enseignements de l’épilogue du feuilleton NDDL qui marque le territoire depuis plus de 15 ans, et ou en plus tu as été un acteur (il y a longtemps, il y a longtemps) c’est très dangereux. Mais je vais le faire quand même !

Ce papier a complètement sa place ici : on va y parler de la participation des citoyens. Vu sous cet angle, la décision de ne pas transférer l’aéroport de Nantes est une bonne nouvelle : il y a une montagne de boulot pour repenser l’action publique au regard des exigences citoyennes d’aujourd’hui…

 

Sur le fond, j’ai du mal à comprendre pourquoi le sort du triton crêté, symbole de la biodiversité à Notre-Dame des Landes, est plus important que celui des habitants de Saint-Aignan de Grandlieu, qui vivent sous les couloirs aériens.

Le transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique était une opportunité

  • de densifier la ville,
  • de la rééquilibrer au sud de la Loire,
  • d’augmenter le nombre de passagers potentiels en allant au Nord de la Loire, où habitent plus de gens,
  • et permettait d’anticiper les problèmes que le plan d’exposition au bruit de l’aéroport ne manqueront pas de poser y compris dans le centre-ville de Nantes.

En zone C de ce plan, non seulement on doit augmenter l’isolation sonique et phonique, mais on ne peut pas augmenter la capacité d’accueil d’un bâtiment existant, ni en construire un nouveau à usage collectif. Et il est permis de penser que cette zone englobera bientôt un lycée  et de nombreux immeubles de bureaux et d’habitation en plein centre-ville.

Pour Nantes-Atlantique, ce n’est pas la proximité de l’aéroport du centre-ville qui est en cause, c’est l’orientation de la piste. Et on ne peut pas la changer, sauf à déplacer 100 fois plus de population qu’à Notre-Dame des Landes.

image issue du documentaire : Notre dame de tous les maux (ci dessous)

Bon après, c’est un problème d’aménagement du territoire, ce n’est pas non plus la fin des haricots. A la place des logements qu’on aurait mis entre la piste ci-dessus et le centre-ville (6000 au bas mot), on va continuer à faire des pavillons à 20 km de Nantes, les gens prendront leur voiture y compris pour aller chercher le pain ou emmener leurs gamins au judo, et puis c’est tout. Juste, au rythme actuel de 15000 habitants supplémentaires par an, on va bouffer un ou deux aéroports par an en surface au sol.

J’espère par contre que le tram-train et la liaison ferroviaire Nantes-Rennes ne feront pas les frais de cet abandon…

Le référendum qui tue

Sur la forme, je savais depuis l’annonce du référendum que c’était plié. Décidé par Paris, il affaiblissait considérablement la légitimité des porteurs du projet.
Comment ? Après un débat public organisé par la Commission Nationale, après les enquêtes publiques, après les dizaines de recours infructueux devant la justice, il fallait quand même redemander aux gens ?
C’était une bêtise, sur le fond comme dans ses modalités. Les responsables politiques locaux auraient négocié ensemble la tenue d’un référendum pour trancher, il en eut été autrement. C’eût été un choix négocié pour quitter une impasse dans laquelle était notre territoire. Mais sorti de nulle part, comme ça, par le dépositaire ultime de l’autorité de la République c’était la catastrophe.

En fait, ce référendum n’était au fond qu’une tentative maladroite de sortir d’une situation quasi inextricable. Le problème est bien en amont. Mon ami Stéphane Vincent de la 27° Région l’avait dit lors d’une audition au Sénat (sur la participation des citoyens à la prise de décision publique en février 2017) : « Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, par exemple, il y a eu un malentendu au moment du diagnostic. Le manque de clarté dans le diagnostic peut aussi être un problème. Il est bien beau d’apporter des solutions aux problèmes, mais il faut d’abord prendre au sérieux le moment du diagnostic. Il est temps de passer à une fabrique post-industrielle des politiques publiques. La société a changé depuis l’ère industrielle, durant laquelle nos institutions se sont formées. Il faut associer les usagers plus en amont et, peut-être, différemment. »

Un projet du 21° siècle, mais une posture du 20°

Depuis le départ le camp des pros présente le projet comme un fait accompli, en utilisant leur légitimité née du suffrage universel , leur autorité  et leur technicité.  D’un point de vue institutionnel, c’est normal, ils sont les élus du territoire ou les représentants du gouvernement, et les institutions leur confèrent ces qualités et ces moyens. Sauf que la légitimité,  effective en théorie, est remise en cause dans les faits avec le délitement général de la confiance, que l’autorité se gagne par sa compétence, sa clairvoyance et son impartialité et que justement, côté technicité, on avait un peu de mal avec la transparence et que ça a joué sur l’impartialité, ou en tout cas le ressenti de l’impartialité mais j’y reviendrais.

Les angles de communication choisis ont été le développement économique, la sécurité, le Grand Ouest. Celui que j’évoquais au début, l’aménagement du territoire local, n’est apparu que très tardivement dans le discours officiel alors qu’il était évident. Je me souviens, à la vision du documentaire de François Gauducheau, quand arrive à l’extrait ci dessous (il y en a pour une minute trente, regardez, c’est à 10m40) m’être dit : mais pourquoi le dire seulement en 2013 ? Tout le monde comprend ce que vous dites là, les Patrick et Patrick. Pourquoi ne pas l’avoir dit comme ça dès le début ?

Philippe De Villiers (le cinéaste anti-aéroport, pas l’ancien président du Département de la Vendée) donnait son point de vue sur le fil Facebook du dessinateur FRAP il y a quelques jours : « des comptes il faudrait surtout en demander au Chef, Jean-Marc Ayrault, qui a embarqué tout le monde dans cette aventure, dans le tragique spectacle du Patron qu’a dit donc qu’a raison. Et je dis ça pour avoir été présent et proche des coulisses pendant les fameux débats publics de 2000 si je me souviens bien. A l’époque personne ne savait où c’était NDDL Et cette musique: appareil politique, élus locaux, préfet, sans oublier le poète de la bande Mustiere ex CCI, on l’a entendue pendant 17 ans dans tous les organes officiels dans tous les médias sans discontinuer n’est ce pas. Un seul projet, une seule voix, une seule façon de penser. ». Le ton est un peu emporté, le propos injuste avec Jean-Marc Ayrault (que tout le monde suivait de son plein gré, moi compris) et Alain Mustière, qui a démontré son attachement au débat démocratique à la présidence du Conseil Economique et Social Régional, mais il retranscrit le point de vue du camp du non : une vérité officielle, assénée avec tous les moyens que les autorités publiques peuvent avoir sous la main.
Sur les médias c’est inexact, au contraire le camp du oui les trouvait complaisants avec les antis, Ils devaient donc être à peu près à bonne distance (mis de côté les journalistes qui avaient pris parti, ce qui n’est d’ailleurs pas interdit).

Il me semble, effectivement, que les services de l’Etat ont depuis le départ mis en avant les arguments qui étaient en faveur du transfert de l’aéroport, et minimisé ceux qui allaient à son encontre. Par habitude (on a toujours fait comme ça), par souci de simplifier le travail (pour le coup, ça a bien marché !), au nom de l’autorité que leur confère la Connaissance (avec un grand C). Plusieurs fois (je travaillais au Conseil régional) , j’ai eu le sentiment d’être dans la peau de l’avocat à qui son client ne dit pas tout et qui doit le défendre quand même…

Sauf qu’en face, l’expertise existait aussi. En 1992, Françoise Verchère, la chef de file des antis,  avait fait réaliser, pour les besoins d’un numéro spécial du journal municipal de la ville dont elle était maire (où est implanté l’aéroport) un travail de fond sur le projet de Notre-Dame des Landes (alors en sommeil, mais bon on sait jamais…).

Elle était donc prête en 2003 au moment du débat public, elle savait où les services de l’Etat ne jouaient pas la transparence, et elle a appuyé là où ça faisait mal. Et plutôt que de prendre ses arguments en considération, on a continué dans les arguments d’autorité, à chaque nouvelle remarque on se murait encore plus dans cette position et les conditions du désastre étaient posées. Je me souviens du président du débat public, Jean Bergougnoux, qui devait faire avec et qui, en bon commis de l’Etat, s’en plaignait uniquement à demi-mots…

Alors qu’à mon sens, jouer la transparence, tout simplement , n’aurait rien changé à la légitimité du projet. Mais aurait évité de nourrir la suspicion.

Tout a bien été fait dans les formes de la procédure de l’époque, rien à dire de ce côté là. Mais la société avait changé.

The times, they are changin’

La procédure de consultation des citoyens sur Notre-Dame des Landes est une procédure du 20° siècle qu’on a fait au 21° siècle. Entre temps, il y a eu Internet, l’accès illimité à l’information et la naissance des « experts amateurs », la possibilité de diffuser son point de vue largement en dehors des circuits traditionnels, l’habitude de faire valoir son point de vue et de ne pas tout prendre pour argent comptant. Plus la montée (indispensable) de la prise en considération de l’enjeu environnemental, et la remontée des inégalités, sur fond de financiarisation de l’économie (et les groupes capables de construire une telle infrastructure, Vinci comme les autres, participent de ce mouvement et attirent les critiques).

Notre Dame des Landes, c’est un peu comme pour le référendum européen de 2005. C’est la victoire des nouveaux contre les anciens, ceux qui sont en phase avec l’opinion publique contre ceux, aux manettes (et c’est pas toujours facile), qui pensent qu’on doit naturellement leur donner les outils pour se développer. Ca ne veut pas dire que les nouveaux ont forcément raison (ou tort), ça veut dire qu’ils étaient plus en phase avec l’opinion publique.

C’est facile à dire après, mais j’ai acquis la conviction suivante : rien n’eût été pareil si on avait accueilli les arguments des opposants, si on y avait apporté des réponses, si on les avait considéré, entendu, si on avait amendé le projet non pas sous la contrainte, comme c’est apparu, mais dans la plus grande des transparences. Ne pas laisser la place à la moindre possibilité de voir là un complot de l’Etat profond et de ses serviteurs locaux vendus au grand capital. J’exagère à peine dans la sémantique. Dans un précédent article, j’évoquais le vocabulaire employé par les anti et rapporté par Reporterre, le site des militants pour une transition écologique « musclée ». La méfiance envers les institutions y est poussée à l’extrême, non sans quelques raisons d’ailleurs (le préfet en charge du dossier qui passe chez Vinci quelques mois après, #bravolesgars).

Quand on fait de la concertation, au 21° siècle, il ne faut pas que la fin soit déjà écrite, et c’est pourtant ainsi que ça a été présenté à la population : l’aéroport se ferait, quoi qu’il arrive. A partir de là, le ver était dans le fruit.

Après, tu peux faire des compromis, tu peux même prendre de ton propre chef des décisions qui vont dans le sens des critiques  (par exemple le contrat de concession avec Vinci, il était BON, on est loin d’un PPP, et ça c’est la volonté des autorités locales qui l’a permis, je le sais, j’y étais), quoi qu’il arrive tu nourris la surenchère. Jusqu’à la ZAD (qui est plurielle, je le sais, mais dont je conteste le principe même, qu’il s’agisse de lutte armée ou d’expérimentation d’alternatives pacifiques, voir mon billet précédent).

Faire NDDL, au fond du fond, en 2017, ça revient à vider la ZAD. Mais, après l’échec de l’opération César en 2012 (une tentative d’évacuation de la ZAD par les forces de l’ordre), après la mort de Rémi Fraisse à Sivens, qui donc allait prendre ce risque ? Porter la responsabilité politique d’une intervention qui peut signifier la mort de jeunes gens  – les plus radicaux, ceux qui s’essayent régulièrement à la guérilla urbaine dans le centre-ville de Nantes – est un fardeau trop lourd. L’ordre Républicain, c’est bien, j’y suis attaché, mais je serais incapable de donner une instruction en ce sens, Je ne me vois donc pas en droit de l’exiger d’autrui. En fait, l’enjeu, c’est d’arriver à ne pas se retrouver dans une telle situation. Quand on y est, la partie est finie.  A la fin c’est la minorité intolérante qui gagne, comme l’explique Nassim Taleb, parce que tu ne veux pas la suivre sur son terrain, ça n’en vaut pas la peine.

La sortie vers le haut ? Elle existait

Le gouvernement avait-il d’autres choix que d’abandonner dans ces conditions ? Je pense que non. Avait-il d’autres choix que d’abandonner comme ça, sans tirer aucune leçon de ce fiasco ? Je pense que oui.

Je vois depuis hier sur les réseaux sociaux des photos de cartes d’électeurs déchirées ou renvoyées à l’Elysée. Tous ces gens, qui ont cru dans les institutions, qui ont accepté le discours sur « respecter la justice et attendre la fin des recours », qui sont allés voter oui en majorité (55%), est-ce que c’était trop demander que d’essayer de leur donner une perspective ?

Surtout qu’il y en avait une. Prendre acte que le régime du débat public en France doit évoluer considérablement, qu’il faut organiser la transparence, donner un statut aux parties prenantes au débat, qu’elles soient pour, contre, ou ni-pour-ni-contre-bien-au-contraire. Tirer les leçons de ce désastre, repenser les instruments de la démocratie, lancer un grand chantier national autour de cet enjeu, trouver les moyens d’organiser la dignité des débats publics.

Ce sont les circonstances, les cadres, les pratiques habituelles qui ont amené à ce résultat. Ils ne convenaient plus à la société, ce renoncement en est l’illustration. Il n’y aucun intérêt à désigner des coupables, tout cela est le résultat d’un mouvement collectif qui s’est exprimé dans un cadre obsolète  sur fond de durcissement de la société et de pratiques militantes nouvelles (bonnes et moins bonnes).

Par contre, prenons-en acte vraiment : réinterroger les pratiques et les procédures sera utile pour la suite, si on ne veut pas revivre ce genre de chose et si on ne veut pas que les ZAD se multiplient au moindre projet emportant des nuisances. Parce que là, sur ce coup, on est passé de NIMBY (Not In My BackYard, pas dans mon jardin) à ZAD Partout. Ce n’est pas exactement la même histoire.

Les responsables locaux vont essayer, à raison, d’obtenir des compensations. Mais le plus grand cadeau qui pourrait être fait à ceux qui se sont investis dans ce projet, c’est que les acteurs publics fassent de cet épisode malheureux une opportunité d’améliorer les outils de participation citoyenne .