Eloge de la représentation

Bas Leurs, qui est designer au Nesta, la fondation anglaise pour l’innovation publique, a publié un diagramme sur les techniques et les outils d’innovation, représentation qui a déclenché chez moi un vrai effet wow !

Etant donné le peu d’enthousiasme qu’il déclenche autour de moi, je me suis demandé pourquoi il me plaisait tant. Et en fait, c’est une bonne occasion de parler de représentation.

Le diagramme de Venn…

J’adore les diagrammes de Venn. Au départ c’est un outil mathématique, logique plus précisément, mais on en a fait un outil de représentation qui fonctionne à plein, comme ici avec ce dessin bien connu des agences de design :

Il arrive même à être poétique, comme dans cette représentation de l’ikigai :

Pour moi, il a une importance particulière, parce que c’est grâce à lui que j’ai trouvé comment parler du design (à gauche une représentation piquée à Jean-Patrick Péché, à droite celle que IDEO présente pour parler de leur approche) :

Bref, un diagramme de Venn, c’est puissant.

… c’est dur à faire

Regardons à nouveau ce Diagramme :

Il a l’air de couler de source. Et pourtant, c’est très très dur à faire.

La plupart du temps, quand on fait des associations, on aboutit à des… patates, enfin des regroupements patatoïdes.

Les traits symbolisent les patates. Autant vous dire qu’il reste du travail pour dépouiller ces observations.

Il s’agit ensuite d’élaborer des hypothèses pour créer un diagramme. Trouver une abscisse et une ordonnée, et  les idées à tester qui sont aux  quatre extrémités. Une erreur de qualification des choses et votre diagramme peut être inutile.

Un diagramme est réussi quand on en dégage des idées forces. Et ce n’est pas facile. Quand on y arrive, c’est exaltant. Je me souviens d’un séminaire du comité de direction de la Région des Pays de la Loire où nous avions travaillé sur les instances de consultation de la collectivité. Divisé en 3 groupes, chacun avait une abscisse imposée (instance facultative-obligatoire / public citoyen-institutionnel / chronologie de mise en place) et chacun avait une ordonnée à choisir. Nous avions réussi à dégager quelques grandes idées (en fait, 50, à l’issue d’un deuxième séminaire) et je dois dire que je frisais l’euphorie.

Les idées-forces sont sur les gros Post-its. Celle en haut à droite était une révélation : près de la moitié  des instances étaient des créations du Conseil régional, et ce sur des compétences facultatives. Elles permettent à la Région de jouer un rôle d' »ensemblier » qui s’incarne par leur intermédiaire. Pas de coordination ou d’autorité : de dialogue et de mise en commun.

Mais la plupart du temps, c’est beaucoup moins bon.

le boulot des designers

Il faut le dire : c’est un travail conceptuel très complexe que de réaliser les bonnes hypothèses, et sa réussite constitue un des caractéristiques fondamentales des designers. Pour l’avoir vu faire en direct plus d’une fois, je dois dire que cela m’impressionne toujours autant. Et c’est ce qui fait que la mise en problématique dans un projet est le moment où la plus value du design est la plus visible : grâce à une grande maîtrise des outils de représentation, non seulement ils savent la débusquer, mais en plus ils peuvent la partager clairement avec les autres et par conséquent y faire adhérer.

Là, en l’espèce, le choix de Bas Leurs pour « ranger » les outils et techniques d’innovation est lapidaire et brillant  : en abscisse les outils pour comprendre et ceux pour construire des choses, en ordonnée la technologie et les qualités humaines, avec le choix de faire en sorte qu’elles n’aient aucun espace de recouvrement. Ceci est dit une bonne fois pour toute : numérique≠humain.

Et ça marche bien : les outils sont très bien répartis, et pour ce que je les connais, de façon très réaliste. Et pour ceux que je ne connais pas, eh bien ça me donne envie de les connaître.

C’est un formidable outil de travail

En cela, ce diagramme est un grand cadeau à tous les innovateurs publics. En partant de leurs zones de connaissances, il leur permet d’explorer des champs connexes, ou au contraire très différents mais qui se trouve à proximité et qui leur sont moins familiers.

Il pose des questions sur ses choix aussi. Par exemple, il sépare Innovation frugale et Jugaad, alors que souvent les auteurs en parlent indistinctement (c’est le cas dans l’article Wikipedia en lien). Je vous épargnerai mes autres questionnements, mais je dois dire qu’ils sont légions. Et j’en suis ravi.

Il est enfin intéressant par les outils qu’il ne place pas sur son diagramme. Et ce, d’autant plus qu’une question sous l’article portant sur le Lean a pour réponse : le Lean, ce n’est pas de l’innovation, c’est de l’amélioration. Pas de place pour l’ambiguïté donc : si un outil ou une technique n’y est pas présenté, pour le Nesta, ce n’est pas un outil ou une technique d’innovation.

Bref, wow.

Merci beaucoup. Vraiment.

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