Du design au coeur des politiques régaliennes

Un des reproches réguliers fait au design de l’action publique est de s’occuper de dossiers à la périphérie et pas au cœur des enjeux des politiques publiques : l’accueil de la mairie, la carte culture pour les lycéens, le site Internet pour l’accès au service, etc.,  mais pas le fonctionnement d’un centre hospitalier ou l’architecture de la distribution de l’électricité. Bref, on a du mal à piocher « dans le dur », là où manifestement rien ne l’interdit (d’autres le font d’ailleurs : les californiens d’Ideo conçoivent régulièrement des hôpitaux par exemple).

C’est la raison pour laquelle la lecture d’un article dont le titre est : « De l’utilité du concept de Design » sur le site penseemiliterre.fr, centre de doctrine et d’enseignement du commandement, vient peut être faire bouger les représentations. Le design peut être appliqué à la défense nationale…
A faire lire d’urgence à votre chef ou à votre collègue qui pensent que le design de l’action publique, c’est vraiment pas sérieux !

L’unité de mesure de l’erreur, quand il s’agit de défense, c’est très vite le nombre de vies humaines. Dans ces conditions, seuls l’efficacité et le pragmatisme comptent, et c’est bien ce que recherche l’auteur de cet article. Sa défense du design pour repenser la doctrine militaire n’est donc pas quelque chose de superficiel, il n’y a pas d’effet de mode. Il en constate l’efficacité. Point.

L’irruption du sensible

L’auteur raconte d’ailleurs dans l’article que le design est entré dans la défense aux USA après le désastre de l’opération Iraqi Freedom : « difficultés cognitives du chef à imaginer une solution contre-intuitive, rigidité des méthodes de planification ne permettant pas d’anticiper les évolutions de situation.« . L’irruption du sensible dans une mécanique basée sur des comportements rationnels supposés. Un grand classique dans l’innovation publique…

En quoi le design lui semble approprié ?
  • il est inductif, or les systèmes humains complexes génèrent des problèmes que ne peuvent résoudre une approche intuitive ou une méthode analytique,
  • il vise à comprendre la nature du problème avant de le résoudre en passant par trois étapes compréhensibles par tous : visualisation de l’environnement, formulation du problème et expression d’une approche opérationnelle,
  • il est un outil de compréhension des environnements complexes et de partage d’une vision opérationnelle entre le chef et son état-major,
  • il est un pont entre analyse conceptuelle et planification détaillée.

On parle bien de la même chose, non ? Pas avec les mêmes mots, certes, mais exactement de la même chose.

Le design, esperanto de la production de décision

Plus encore, il présente le design comme un sorte d’esperanto de la production de décision : « Aisément compréhensible par des non praticiens, le Design est ainsi un outil de collaboration civilo-militaire. Il offre un cadre informel où chacun peut analyser et interpréter l’environnement opérationnel à l’aune de l’expertise, des intérêts et de la culture propre de chaque ministère. Il est, par la même, un forum où les objectifs de campagne et les moyens pour les atteindre peuvent être discutés et définis en commun. »

Ce que retiendront les « puristes », c’est qu’il n’est fait nulle mention du recours à des designers : c’est le chef qui doit concevoir l’opération. Autant cette remarque est valable pour la totalité des administrations civiles, autant pour ce qui concerne le militaire, on peut imaginer une spécificité. Il existe d’ailleurs nombre de domaines professionnels ou les militaires ont des écoles qui leur sont propres. Alors, demain, verra-t-on se créer des écoles de design militaires ?

Imposer le design à un autre niveau

C’est en tout cas un encouragement à oser s’imposer dans le jeu des politiques publiques à un autre niveau que celui auquel nous sommes cantonnés (nous nous cantonnons ?). Si on peut designer une guerre, on doit pouvoir s’attaquer à des chantiers autrement plus lourds. Il nous reste à convaincre les acteurs publics !

Et vous commenceriez par où ? Moi j’ai déjà une liste : les déchets, Parcours Sup, la sécurité publique, les marchés publics, …