La bureaucratie de la mort

Difficile d’évoquer sur un blog pro un évènement aussi personnel que le décès de son père. Mais les semaines que j’ai passé plongé dans des démarches administratives me poussent au contraire à aborder la question. Elles ont été tellement caricaturales…

Le décès d’un proche est forcément douloureux. On ne s’y prépare jamais vraiment, même quand il est âgé et de santé fragile. On recherche alors tout ce qui est de nature à vous apaiser et vous laisser entreprendre votre deuil.

Pourtant, très vite, vient le moment des démarches administratives, où les rares moments où vous n’êtes pas submergé par la stupéfaction, c’est quand elle laisse place à la colère. Le sentiment de suspicion généralisée et le manque d’empathie de la part des différentes administrations sont sidérants.

Pourtant, s’il y a un moment où on pourrait bien vous parler, c’est là, non ?

Au début, tout va bien. On vous donne suffisamment de certificat de décès pour pouvoir faire le tour des différentes officines qu’il faut prévenir. Des sites d’associations vous aident dans l’établissement de la check-list (bravo à l’AFIF). Vous faites les premiers courriers. Oui, des courriers postaux. Parce qu’il n’est pas question de pouvoir télécharger quoi que ce soit sur le web, bien entendu.

Puis viennent les premiers retours.

Bon d’abord les formules de condoléances sont plus ou moins elliptiques. On se dit que ça leur coûterait pas beaucoup plus cher d’être courtois.

Ensuite on se découvre ayant-droits. On pensait être des conjoints, des enfants, non, nous sommes des ayant-droits. Enfin, encore va-t-il falloir le prouver. Mordicus.

Et là, débute la chasse aux papiers. Aucun organisme ne demande les mêmes : livret de famille et acte de naissance de mon père, acte de naissance de ma mère, livret de famille de chaque enfant, certificat de mariage de mes parents, tout y passe.

Ubu aux commandes

Sans jamais expliquer pourquoi. Y compris lorsque les demandes tiennent du père Ubu : ainsi, un organisme demandait une photocopie de tout le livret de famille, y compris les pages vierges. Dans le courrier de réponse, puis dans la fiche à remplir et à retourner. Il s’agissait sans nul de doute de s’assurer du nombre de descendants en constatant le caractère vierge de la case 3eme enfant (ce qui en limitait donc le nombre à 2), mais sans explications de cet ordre, ma mère s’apprêtait à photocopier jusque à la dernière page…

Certains sont simples à obtenir (bravo à la ville de Paris et aux sites de l’Etat), enfin surtout si on est à l’aise avec le numérique, ce qui n’est pas toujours le cas à 80 ans passés, comme c’est le cas de ma mère. D’autres tiennent quasiment du Graal tant leur quête est une aventure. Mais on finit par y arriver.

Après viennent les retords.  Ceux qui redemandent des papiers qu’ils ont déjà reçus, parce que « le dossier a changé de service alors on reconstitue les pièces ». On voudrait décourager les familles qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

conclusions

Aujourd’hui, le gros des démarches est derrière nous. Elles ont été facilitées par mon 5eme Dan en bureaucratie (j’ai quand même travaillé pour la sécu 5 ans de ma vie, en plus de mes 20 ans en collectivité, j’ai une aptitude naturelle à décrypter le fonctionnement d’un service administratif et à remplir des bordereaux abscons…). Mais aussi par le fait que ma mère avait bossé toute sa vie : elle avait une sécu, une retraite, un compte personnel. Elle n’était pas dépendante de ses démarches pour pouvoir assumer le quotidien. On n’avait pas la pression, quoi.

Mais j’en retire plusieurs enseignements : qu’ils montrent de la compassion ou pas dans le traitement des dossiers, les services publics manquent singulièrement d’empathie. Ils sont incapables de penser leur relation avec la famille du défunt dans une logique du respect de leur bonne foi et de leur intelligence. Ils n’expliquent pas, ou mal, l’utilité des pièces demandées, et sont surtout incapables de se coordonner sur les pièces à demander. Pourquoi le livret de famille suffit-il pour l’un alors que l’autre a besoin d’une copie intégrale de l’acte de mariage ?

Ensuite, le système de sécurité absolue (le fameux ceinture ET bretelles des services juridiques du secteur public) donne une impression de suspicion généralisé, à un moment où l’on est quand même particulièrement fragilisé. Encore une fois, pour quel pourcentage de fraudeurs parle-t-on makl à l’ensemble de la population ?

Un ami qui a vécu récemment la même chose que moi m’a raconté que son père avait fait la moitié de sa carrière en France et l’autre en Suisse. La pension de réversion suisse a été ouverte une semaine après que l’organisme ait été informé. Sur la base d’un simple certificat de décès, la régularisation se faisant par la suite. Pour la française, il lui a fallu 6 mois…

Deux pistes d’amélioration, donc : coordonner la bureaucratie de la mort. Ou renverser la vapeur et faire confiance à priori.

Si la première est une innovation incrémentale , l’autre une innovation de rupture. Qui serait la bienvenue ici comme dans bien d’autres cas !