A propos des brise-glaces dans les ateliers

J’ai toujours détesté les brise-glaces. Vous savez les exercices en début de réunion / atelier / workshop où on est censé faire connaissance avec son voisin en racontant une histoire sur soi ou en faisant un petit jeu avec lui. En général, soit je trouve un truc à faire, soit je fais ou dis n’importe quoi. Bref, je déteste ça, surtout parce que je trouve ça inutile.
Diverses expériences récentes – l’université d’été de Cluny, la préparation d’un atelier pour les ETS (Entretien Territoriaux de Strasbourg), le séminaire du bloc local (DG des communes et intercommunalités des Pays de la Loire) – ont été l’occasion d’en avoir un florilège, et, à mon grand étonnement, non sans résultats (sur les autres !).
Faut-il donc en passer par là pour se mettre au travail avec des inconnus ?

Les bières dans le frigo

L’atelier de découverte du design que nous avions mis en place à design’in Pays de la Loire commençait par un brise-glace autour d’images sensées représenter l’innovation. Il y avait des ampoules, des robots, des chercheurs, bref des symboles en tout genre. Les gens devait choisir une image et dire : « elle me fait penser à l’innovation parce que… ». J’avais glissé dans la sélection cette image des bières dans le frigo, et je la choisissais à chaque fois en disant : « j’ai choisi la bière, parce que ça pétille, c’est comme les idées, etc. ». Puis une fois que les gens avaient eu le temps de se demander si je n’étais pas dingue, je reprenais la parole en disant : « en fait cette image représente surtout l’ingéniosité et la frugalité, si vous regardez bien vous voyez la pince à document qui empêche les bouteilles de rouler, et rien ne représente plus pour moi l’innovation que la transformation du réel avec des idées simples ». J’adorais voir le soulagement sur les visages du groupe. Sur Internet, on appellerait ça un #troll.
Bref, j’aime pas les brise-glaces. Je trouve qu’on passe un temps incroyable à ça, au lieu de se mettre à travailler.

Et pourtant, ça marche.

Je rencontre pourtant plein de gens pour qui ça a une importance considérable. Notamment, ceux qui sont arrivés à l’innovation par le développement personnel, et toutes les écoles comme la sociocratie, le art of hosting, etc. Tiens regardez ce qu’il y a sur le site de l’« Université du nous » : des outils nombreux pour créer un climat de confiance et du collectif, qui en plus marchent pas mal.
Mais pourquoi faut-il en passer par là ?
Ce que disent leurs partisans, c’est qu’il est nécessaire de placer les participants dans un état de conscience qui leur permet de se mettre à collaborer en toute bienveillance. Qu’il faut arriver à emmener les gens jusqu’au point de bascule où ils ne voudront plus revenir en arrière et continuer la pratique professionnelle du chacun pour soi.
J’ai envie de dire pourquoi pas. Il est certain que si le climat de confiance n’existe pas, l’atelier collaboratif risque d’être un désastre.

Nouvel état de conscience, ou terrain de jeu vierge pour tous?

Mais si j’ai toujours pensé que ce nouvel état de conscience évidemment ne se décrétait pas, ce n’est pas non plus en écoutant ou en racontant une anecdote à mon voisin d’atelier que je vais y accéder.
En fait, je crois qu’il s’acquiert, en faisant des choses différentes du quotidien, mais possiblement en lien avec le propos du jour.

Formation organisée avec la 27° région à design’in Pays de la Loire

Quand nous avions demandé, lors d’une formation sur le prototypage, à des territoriaux de tous statuts d’empêcher un oeuf lâché à un mètre de haut de se casser  avec comme seuls outils du papier et du scotch, peu importait d’avoir fait l’INET ou d’être contractuel, tout le monde était sans bagage particulier devant l’objectif.
Il en est de même en commençant un projet par de l’observation non participante : en allant sur le terrain et en analysant les usages, peu importe ton statut ou ta place dans la hiérarchie, tu es face à ta capacité d’écoute et d’observation.
Et le dialogue se crée naturellement entre les participants sur des travaux en lien avec l’objet de l’atelier.

Bref, ok pour le pas de côté (le « out of the box », pour parler comme un consultant en design thinking…), mais si il peut permettre d’apprendre des choses et de se mettre sur le chemin de l’objectif, c’est quand même mieux. Mettons les gens au travail, le plus tôt sera le mieux.

Ne pas donner de leçon de choses

Ce qui me dérange au fond dans le brise-glace transformatif sans lien avec l’objectif de la journée, c’est le présupposé qu’il y a derrière qu’on est pas naturellement collaboratif et qu’il faut faire un véritable travail sur soi au préalable. Je pense qu’on peut trouver des chemins qui ne jouent pas sur cette corde et qui amène à se connecter avec sa propre bienveillance. A mon sens l’homme(*)  est naturellement collaboratif (comme Rousseau le pense naturellement bon) et ce n’est pas si compliqué de le lui rappeler.

Ce billet est plus une contribution au débat qu’une affirmation péremptoire.  Je vais continuer à creuser. N’hésitez pas à réagir ici ou ailleurs (@oliv_ryckewaert sur Twitter par exemple).

(*) au sens humain du terme, pardon pour les tenants de l’inclusif

Une réflexion sur « A propos des brise-glaces dans les ateliers »

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